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L’accent russe | Le blog de Nadia Sikorsky

05.08.2024
Pavel Kushnir (1984-2024)(DR)

Chers lecteurs, il y a quelques jours, je vous ai donné rendez-vous en septembre ; mais l’actualité est telle que je me sens contrainte de rompre ce vœu de silence mensuel.

 Combien je suis heureuse qu’il ait eu lieu, l’échange des prisonniers entre la Russie et l’Occident – échange tant attendu et cependant inespéré dans la mesure où nous ne croyons plus aux bonnes nouvelles. Heureuse aussi qu’il a eu lieu un 1er août, le jour de notre fête national. Dommage seulement que la Suisse n’y ait été pour rien. Qu’elle n’ait pas pris part à ce grand coup diplomatique plus marquant – et certainement moins couteux, à mon humble avis – que certaines de ses initiatives dites “pacifiques”.

 Cet événement heureux, tous les médias du monde l’ont couvert, qui ne se sont pas privés de tout bien vous expliquer : les méchants et les gentils ; les conséquences probables, possibles et tout à fait fantasques… Je ne vais donc pas joindre leur cœur.

 Je tiens à vous parler d’un autre événement qui s’est produit quelques jours auparavant et est passé inaperçu, loin des projecteurs. Le 27 juillet 2024, au Centre de détention provisoire de Birobidjan est mort Pavel Kushnir, un pianiste de trente-neuf ans.

 Que je sache, il n’avait pas de lien de parenté avec Boris Kushnir, le célèbre violoniste. Vous ne pouviez pas voir son nom sur les affiches de Victoria Hall ou du Verbier Festival ou de celui de Gstaad. Et pourtant, il existait.

 Sa page sur le Wikipedia russe – qui vient de paraître et dont certains, en Russie, exigent déjà qu’elle soit supprimée – est des plus courtes. Pavel Kushnir est né le 19 septembre 1984 à Tambov, une petite (selon les mesures russes) ville d’à peu près 300 000 habitants, mais la plus grande ville de Russie à n’être pas contrôlée par Russie unie, le parti de Vladimir Poutine. Très jeune, dans une école locale, il a commencé à apprendre le piano.

 Ayant terminé ses études dans un collège de musique de Tambov – collège qui porte le nom de Sergueï Rakhmaninov, une autre âme torturée –, il est entré au Conservatoire de Moscou, l’établissement le plus prestigieux du pays dont le diplôme terminal garantit un avenir professionnel radieux. Ce diplôme, Pavel l’a obtenu en 2007 ; toutefois, plutôt que « faire carrière », il a préféré retourner en province, dans la « Russie profonde », afin d’y enseigner la musique et de l’interpréter.

 En 2023, Pavel est devenu soliste de la Philharmonie de Birobidjan, cette ville tragi-comique, centre administratif de l'Oblast autonome juif de Russie, dont la population ne dépasse pas 80 000 habitants. À propos de cette ville, voici trois faits intéressants :

– située sur le tracé du Transsibérien, sa construction, qui remonte à la fin des années 1920, fut supervisée par le directeur du Bauhaus, l'architecte suisse Hannes Meyer ;

– en 1945 et en coopération avec l’Ambidjan (l’American Birobidjan Commitee instauré en 1934 aux États-Unis pour soutenir le développement économique de la première région juive créée au monde), Albert Einstein crée le Fonds Einstein en sorte d'y installer 30 000 orphelins juifs victimes du nazisme. Chaque famille juive allemande, lituanienne, polonaise et roumaine y reçoit alors 350 dollars négociés entre le gouvernement soviétique, le ministre des Affaires étrangères Tchitcherine et Jacob Budish, un communiste américain ;

– en 1928, la région avait bien été désignée par le régime soviétique comme la future « Palestine sibérienne » des juifs ; ils y auraient été jusqu'à 150 000 à s'y établir ; mais les sujets de cette colonisation s’étaient rapidement raréfiés. En 2020, les juifs de Birobidjan représentaient le 2 % de la population.

Si vous êtes désireux d’en savoir davantage, je vous invite à lire L’inconnue de Birobidjan de Marek Halter. Quant à moi, j’en reviens à Pavel Kushnir.

Bien avant de s’installer dans ce lieu que borde le fleuve Amour, il avait créé, en 2011, une chaine YouTube. Sans grand succès, peut-on dire : en treize ans d’existence, seules cinq personnes s’y sont inscrites. Cinq ! Mais voilà qu’à partir du mois de novembre 2022, Pavel y publie quatre vidéos dans lesquelles il se permet de critiquer – en vers, s’il vous plait ! – la politique du gouvernement russe, ses lois et l’agression de l’Ukraine. Son audience de cinq personnes fut alors jugée suffisamment importante par les autorités pour qu’elles l’accusent d’« appels publiques à des activités terroristes » et le jettent en prison.

Regardez sa photo : il est maigre, pale, il porte des lunettes… Un artiste, quoi. Mais il a eu le courage d’entamer une grève de la faim « à sec » – c’est-à-dire sans nourriture et sans eau. Selon les avis médicaux, cette grève aurait dû durer huit à dix jours. Elle n’en a duré que cinq. Et il en est mort.

Voici l’exemple d’un pur Sacrifice. Pur, car non médiatisé. Pavel Kushnir n’était pas assez important pour qu’on l’échange contre quelqu’un d’autre. Peu importe, qui.

 Se trouvera-t-il un nouveau Roman Polanski pour tourner un film sur ce Pianiste-là ? En attendant l’éventuel Godot, je fais aujourd’hui appel à tous les musiciens parmi mes lecteurs ; aux promoteurs de concerts et organisateurs des festivals, si nombreux en Suisse pour rendre hommage – post-mortel, tout au moins – à Pavel Kushnir, incarnation de tous les artistes qui meurent pour une cause qui leur est chère.

 Pour l’instant, je vous invite à regarder et entendre Pavel Kushnir interpréter les Préludes de Rakhmaninov. En silence.

29.07.2024
© Torbjorn Toby Jorgensen

Au terme de la saison qui vient de s’achever, j’ai informé le Grand Théâtre de ma décision de mettre fin à notre collaboration.

« Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu », annonce le Prologue de l'évangile selon Jean, selon la traduction faite en 1910 par le Genevois Louis Segond.  « Le langage a évolué en tant que moyen de commérage. Selon cette théorie, Homo sapiens est avant tout un animal social. La coopération sociale est la clé de notre survie et de notre reproduction », affirme pour sa part Yuval Noah Harari dans son Sapiens : une brève histoire de l’humanité.

Et pourtant, je constate avec tristesse que ceux pour qui ce n’est pas seulement un privilège mais également un outil et une obligation professionnelle dédaignent ce Don unique qui nous distingue des animaux. Je pense avant tout aux politiciens dont la mauvaise communication et la maladresse verbale engendrent parfois des catastrophes – les cauchemars que nous vivons aujourd’hui sur plusieurs fronts illustrent cette affirmation. Je pense en outre, encore que sur une autre échelle, aux responsables de communication et aux attachés de presse de diverses institutions : les conséquences de leur manque de professionnalisme (ou simplement de bonnes manières… ou les deux !) sont moins dévastatrices mais tout de même destructrices en ce qu’elles démantèlent des relations – professionnelles et humaines.

Mes lecteurs réguliers savent à quel point j’aime l’opéra ; c’est vraiment là une passion “attrapée” dans ma tendre enfance passée entre les coulisses et la salle du Théâtre Bolchoï, à Moscou, et développée depuis lors, toute au long de ma vie. J’ose croire que j’en sais quelque chose et mes connaissances sont appréciées par de nombreux théâtres – y compris La Scala – qui m’accueillent toujours très amicalement.  

Il était donc tout à fait naturel qu’ayant créé NashaGazeta.ch en 2007, j’établisse rapidement un partenariat avec le Grand Théâtre de Genève, à l’époque dirigé par Jean-Marie Blanchard, et qui, par la suite, devait suivre son chemin pendant la décennie de Tobias Richter. Nous n’étions pas toujours d’accord sur tout, mais la communication était directe et le dialogue restait toujours ouvert.

Hélas, au terme de la saison qui vient de s’achever, j’ai informé le Grand Théâtre de ma décision de mettre fin à cette collaboration. Une décision étonnante pour un petit media indépendant pour lequel chaque sou compte. La cause n’en est pas la qualité des productions – l’affaire est une question de goût, encore que les récents articles rendant hommage à feu Hughes Gall, et qui mentionnent les noms des stars qu’on entendait à l’époque à Genève, ne peuvent aujourd’hui que nous faire rêver. (Il serait bon, par exemple, de pouvoir écouter notre Benjamin Bernheim “local” sans devoir se rendre à Zurich ou New York.)  La cause en est exclusivement la (mauvaise) communication.

Un changement radical d’ambiance s’est produit avec l’arrivée au Grand Théâtre d’Aviel Cahn et de son équipe. Le nouveau directeur, qui jouit d’un confortable budget de 32 millions de francs par an, n’a pas manifesté le moindre intérêt à mon endroit, en qualité que partenaire du GTG de longue date ; mieux encore : il a même refusé une proposition d’un des sponsors de prendre un café – le sponsor en question souhaitait nous présenter d’une manière informelle. Je ne connais pas un autre responsable d’une institution culturelle qui se permettrait un tel… luxe (?). La situation s’est encore empirée avec le départ à la retraite anticipée d’une excellente collaboratrice – fait qui m’a obligée de faire face à Karin Kotsoglou, l’actuelle responsable de presse et Public relations.

Durant plusieurs années, au fil de mon partenariat, cette personne qui fait partie de l'image du GTG, n’a jamais réagi au contenu d’aucun de mes articles, ni même accusé réception. En revanche, au moment où tous les opéras du monde font leur possible pour attirer le public et faire parler d’eux, voici le message qui m’a été adressé :
« Bonjour, conformément à la convention 23-24, merci de nous adresser un lien sur les pré-papiers réalisés sur les 5 productions prédéfinies ainsi que sur les comptes-rendus. Une place presse vous sera réservée uniquement sur la première de ces 5 productions ; aucune présence n’est accordée sur les générales pour les comptes-rendus critiques et aucune place presse en dehors des 5 soirées définies dans cette convention. Toute demande complémentaire (photos, ITW) est à solliciter auprès du service de presse du GTG s.millar@gtg.ch. Bien à vous. »

Voudriez-vous continuer à écrire les textes impliqués, toujours basés sur les recherches approfondies et guidées par le désir sincère d’attirer les spectateurs quand on vous parle ainsi ? Moi pas. Heureusement, je puis me permettre d’acheter un billet au Grand Théâtre si j’en ai envie. Sauf que je n’en ai plus envie. Du tout. Je laisse donc le Grand Théâtre avec ses « Sacrifices » annoncés pour la prochaine saison.

Évidemment, le Grand Théâtre et moi nous survivrons l’un sans l’autre. Mais quel gâchis. Vivement l’arrivée d’une nouvelle direction !

Sur cette note un peu amère mais porteuse d’espoir, je vous souhaite une excellente continuation de l’été et vous donne rendez-vous en septembre.

18.07.2024
Louis Villeneuve Photo © N. Sikorsky/Nashagazeta

Le grand professionnel qui a reçu, en 2017, à New York, le prix Mauviel 1830 du meilleur directeur de salle au monde s'est confié sur sa vie et sa carrière.

Je n’ai pas besoin de vous présenter le « temple de la gastronomie suisse » : L'Hôtel de Ville de Crissier, désigné en 2015 « Meilleur restaurant du monde ». Mais une chose est de l'observer de l'extérieur ou encore, si vous avez cette chance, depuis la salle ; une tout autre de passer plus de quarante ans dans son "ventre". Pardonnez le jeu de mots…

Tel est ce qu'a vécu Louis Villeneuve, connu dans les milieux professionnels sous le nom de "Monsieur Louis" ou "l'Amiral", dont le livre autobiographique vient d'être publié aux Éditions Noir sur Blanc, à Lausanne. Son livre s'intitule Monsieur Louis, Souverain majordome – un titre qui nécessite quelques explications.

Le mot majordome vient du latin major domus et signifie « chef de la cour », ou encore gestionnaire de la maison. Dans les grandes propriétés où la gestion de la demeure peut être répartie entre plusieurs personnes, le majordome est responsable de la salle à manger, de la cave à vin et de l'arrière-cuisine. L'épithète "souverain" inclus dans le titre du livre indique l'étendue de l'autorité dont Louis Villeneuve a joui au cours de sa longue carrière ; en outre, il fait allusion au rôle de "cardinal gris" qu'il exerça auprès de – tour à tour – quatre chefs illustres : Frédy Girardet, élu "Cuisinier du Siècle" par Gault&Millau, Philippe Rochat, Benoît Violier et pour finir Franck Giovannini, tous trois triplement étoilés au Guide Michelin.

Franck Giovannini et Louis Villeneuve © NashaGazeta

Officiellement, le titre de Louis Villeneuve est celui de “chef de salle”. En consultant un site professionnel français de restauration, j’ai appris que les principales tâches du titulaire consistent à superviser l'ensemble du personnel de la salle, à développer la rentabilité du restaurant en adéquation avec les objectifs fixés par la direction et à gérer et développer les relations avec les clients.

Quelles sont les qualités requises pour réussir dans cette fonction ? Connaissance approfondie de l'accueil et du travail en salle ; capacité à diriger une équipe ; excellente présentation ; excellente maîtrise du français et, de préférence, de langues étrangères. Ensuite vient la liste des diplômes à présenter. À ces qualités demandées, j’ajouterai la confiance en soi. Or Louis Villeneuve n'en manque nullement : même très jeune, il ne doute jamais de ses qualités de service, de sa bonne humeur et de son entrain. 

La médaille de l’ordre national du Mérite est remise à Louis Villeneuve par Monique Berlioux © Editions Noir sur Blanc

Louis Villeneuve n'est pas diplômé de l'EHL, mais il prendra toujours une longueur d'avance sur n'importe quel diplômé de la meilleure école hôtelière qui fait la réputation de la Suisse. Son charme, à la fois naturel et professionnel, s’est développé au fil des ans. C'est là un self-made-man absolu ; voilà pourquoi, à mon avis, son exemple mérite de servir à tous ceux qui se trouvent encore au début de leur carrière.

Rien pourtant ne laissait présager le côtoiement des grands de ce monde par ce garçon aux yeux bleus, né le 1er décembre 1948 dans une petite ville de Bretagne, au sein d'une famille de paysans et tôt habitué aux durs travaux manuels comme à la lutte contre les aléas climatiques. Mais ses penchants, eux aussi, se sont manifestés très tôt. « De toutes les activités quotidiennes de la ferme, la préparation des repas est celle qui me captive le plus. Il faut toujours que je sache ce qu’il y aura à midi sur la table du déjeuner. Et c’est moi qui annonce le menu à mon père quand il revient du labeur », se souvient Louis Villeneuve avec un plaisir évident.

La vie à la ferme n'est pas facile après la Seconde Guerre mondiale, époque où l'industrie se développe au détriment de l'agriculture et où les jeunes migrent vers les villes. La majorité de la population est pauvre : « Un ouvrier gagne en moyenne 580 francs (90 euros) par mois, quand un transistor bas de gamme coûte 245 ». D’abord, Louis décide de suivre les traces de son père en s'inscrivant dans une école d'agriculture. Très vite pourtant, il se rend compte que cette filière n’est pas pour lui. Il se déniche donc des emplois temporaires, à temps partiel, dans divers restaurants – en tant que serveur –, adopte les compétences du majordome auprès d’un ancien boxeur, apprend à cacher son excitation à la vue de visiteurs célèbres.

C'est alors qu'intervient Sa Majesté Chance, laquelle amène Louis Villeneuve en Suisse, à l'hôtel Alpenrose, géré par le couple von Siebenthal. « Ce n'est pas loin de Gstaad, une station réputée auprès des amateurs de ski et de bonne chère. Il paraît que les stars du monde entier s’y donnent rendez-vous dans de somptueux chalets avant d’aller danser au Palace, ce haut lieu de la jet-society où les clients sont traités comme des membres de la famille par les hôteliers ». (Lisant ces lignes, comment ne pas penser au dernier film de Roman Polanski, dont je vous parlais récemment ?)

Louis Villeneuve remet sa cape au grand Salvador Dalí © Editions Noir sur Blanc

Le temps viendra pour Louis Villeneuve de connaître à son tour la célébrité : en 1995, il reçoit le diplôme de Maitre d’hôtel suisse de l'année ; de même fréquente-t-il les grands (ou simplement les riches) de ce monde. Sur les photos incluses dans le livre, on le voit par exemple mettre une cape sur les épaules de Salvador Dalí ou sourire à côté de Sylvie Vartan.

Mais derrière le côté glamour d’une telle vie, se dissimule le travail quotidien ; une somme de travail qui oblige Louis Villeneuve à se dépenser physiquement et émotionnellement (d'où l'importance du vélo !). Sans compter le stress permanent… et une série de tragédies : la mort de sa fille dans un accident de voiture ; la mort de l’épouse de Philippe Roche dans les Alpes, puis la sienne ; le suicide de Benoît Violier...

Quant aux détails piquants ou savoureux… Ne vous attendez pas à en trouver dans cet ouvrage : la discrétion est, pour un majordome, une autre qualité indispensable. Peut-être même la plus importante.

Un moment de gloire "par alliance" pour l'autrice de ses lignes Photo © Claude Terrin
11.07.2024
© Unsplash/Kevin Gent

Nino Haratischwili, vous l'aurez peut-être deviné, est géorgienne. Dans les faits, elle est née à Tbilissi où elle a fréquenté une école proposant un apprentissage approfondi de la langue allemande. Pourtant, dans toutes les sources elle apparaît comme une écrivaine, dramaturge et directrice de théâtre allemande. Pourquoi cela ? Parce qu'il y a de nombreuses années, elle et sa mère déménageaient en Allemagne et qu'en 2012 elle obtenait la nationalité de ce pays où elle vit et travaille présentement. Son roman Mon doux jumeaux (« Mein sanfter Zwilling »), le deuxième sur la liste de ses œuvres, a été écrit en 2012 – en allemand – et traduit dans plusieurs langues. Aujourd’hui, je vous présente une version française. Une édition russe, pour autant que je le sache, n'est pas encore à l’ordre du jour, bien que dans une interview datant de l'été 2022, l'auteure ait déclaré : « Je ne veux pas haïr Tchekhov à cause de ce que fait Poutine »… et qu’elle ait en outre placé en épigraphe de son roman un extrait d’une lettre de la poétesse Marina Tsvetaeva datant du 18 avril 1911 ; lettre adressée à son confrère Maximilian Voloshine : « Le corps de l’autre, qui empêche de voir son âme. Oh, ce mur, comme je le hais ! »  Un tel mélange linguistique et culturel me paraît parfaitement correspondre au portrait-robot d'un écrivain contemporain de ce qu'on appelle l'espace post-soviétique.

Le genre de ce roman, je le définirai comme étant “psychologique” mais incluant des éléments tant érotiques que policiers. Commençons par ce dernier aspect, le plus simple en l'occurrence : policier parce qu'il inclut un meurtre dont le lecteur va tout d’abord apprendre l'existence au moyen d’allusions subtiles, pour être ensuite guidé par des circonstances spécifiques – mais à la toute fin, selon les lois du genre. En ce qui concerne l'érotisme, tout est clair : il s’en trouve beaucoup dans le roman, mais rien qui pour autant soit vulgaire ou grossier. On réalise d’emblée que l'auteur est une femme – une femme profonde et sensible. Finalement, pour ce qui est de la psychologie, là, c'est plus compliqué ; ce qui est au fond logique : la psychologie n’est pas faite pour être simple !

Dès le début du livre, le lecteur attentif se doute qu'il va être question d'inceste – un phénomène qui, dans 15% des cas selon les statistiques disponibles, concerne des relations sexuelles entre frères et sœurs. Autrement dit : d’une relation par définition mauvaise (du latin incestus - « criminel, péché »), interdite dans presque toutes les cultures. Ce lecteur attentif a en un sens raison, et le mot “inceste” va du reste apparaître noir sur blanc un peu plus loin, à la page 112 ; mais il n'a que partiellement raison. Le fait est que Stella et Ivo, les personnages principaux du roman, ne sont pas vraiment frère et sœur – bien que tous deux aient grandi ensemble depuis l'âge de six ans –, mais, pour ainsi dire, des frère et sœur adoptés. Ivo est entré dans la famille de Stella après que le meurtre ait été perpétré.

L'histoire de leur relation, complexe et douloureuse, se déroule sur fond de rapports entre deux familles tragiquement fusionnées. Elle peut être décrite comme un cas classique de dépendance émotionnelle dont souffrent le plus souvent les femmes : dans le roman en question, il s'agit de Stella, et la personne dont elle dépend est Ivo, son « doux jumeau ».  Au début, tout semble clair : elle aime et il se donne à l'amour. Mais même ici, tout n'est pas si simple, car lui aussi est une victime à la recherche de lui-même et de réponses aux questions qui ont défini toute sa vie.

Conformément à la définition médicale, la relation entre Stella et Ivo a la coloration émotionnelle de l'amour ; c'est-à-dire qu'elle apparaît comme romantique, sexuelle, et se transforme au fil du temps en une arme à double tranchant qui les blesse tous les deux, mais qui, en même temps, ne leur permet pas de briser le cercle vicieux. La dépendance de Stella à l'égard d'Ivo s'accompagne de tous les symptômes classiques : jalousie, colère et culpabilité. Elle est prête à souffrir ; à se sacrifier pour préserver la relation ; à tolérer la négligence, l'adultère, l'alcoolisme, la toxicomanie ; à opérer des changements radicaux dans sa propre vie – jusqu'à la destruction de sa famille et le rejet de son propre fils. Ce fils qu'elle aime pourtant de tout son cœur.

« Il grimpait sur moi et riait. Il s'endormait en tétant et moi, bouleversée par cet être merveilleux qui était sorti de moi en s'annonçant par un grand cri, je me figeais, craignant de déranger son bonheur parfait si je bougeais et le réveillais. Ce sont peut-être ces moments-là, en fin du compte, qui relient les fils, ces histoires-là qu’on devrait raconter – pas les batailles, pas le nom de ceux qui ont gagné ou perdu le monde, pas les chambardements culturels, les révolutions, les guerriers et les héros, les rois et les reines, les seigneurs et les tyrans. Non, peut-être qu'à l'école on devrait s’entendre raconter comment on a ri pour la première fois, crié pour la première fois, embrassé pour la première fois ».

Attendez une minute : elle abandonne son fils pour un homme ? Nous avons déjà lu cela quelque part, non ?  Bien sûr, chers lecteurs, la référence à Anna Karénine est évidente, de même qu’à la toute première ligne du célèbre roman : celle qui traite de familles différentes dans leur malheur. Stella et Anna partagent les mêmes « données initiales » : une famille heureuse en apparence ; un mari idéal à tous égards, choisi sinon par calcul, du moins par réflexion raisonnable ; pour Stella – une vie sans problème à Hambourg et la possibilité d'écrire des articles sur la culture à sa guise ; un fils merveilleux, Théo. Que pourrait-elle demander de plus ? Mais à cela, Stella est prête à renoncer. Et c'est du reste ce qu'elle fait. Stella peut être jugée aujourd'hui comme Anna le fut autrefois ; accusée d'immoralité, de promiscuité, d'irresponsabilité, d'égoïsme. Comme il est facile de juger ! Surtout pour qui, dans la vie, n'a connu aucun sentiment fort – trop fort, irrésistible – capable de pousser vers l'abîme celui qui ne soupçonne pas même l'existence d’un tel sentiment. Il est vrai que Stella n'a pas eu à se jeter sous un train – l'époque n'est pas la même. Dans le roman de Nino Haratischwili, ce n'est pas Stella qui meurt sous les roues d'un train, mais la petite fille Maya sous les roues d’un automobile : dans des circonstances différentes, dans un pays différent, et pourtant, plus généralement, à cause du même sentiment de culpabilité.

En lisant le roman et contenant difficilement mon désir de voir comment tout se termine, je me disais : il n'est pas possible que la Géorgie soit complètement absente de l’intrigue. Effectivement, ce n'était pas possible ! La Géorgie y est pour la première fois mentionnée par Stella en page 84 : « un pays que je ne connaissais pas et qui ne me disait rien ». Mais c'est en Géorgie qu'Ivo cherche la solution aux doutes qui le tourmentent et, une fois sur place, Stella rencontre une autre mère qui a quitté son fils pour un homme et un garçon qui n’est pas le sien. Ainsi apprend-elle une autre histoire si semblable à la sienne ; histoire d'un amour irrésistible associé à une tragédie et à un sacrifice. Tout le monde a besoin d'une histoire, et tout le monde – parfois inconsciemment – en recherche une. Jusqu'à ce qu'il la trouve.

Au début, en tant qu'étrangère, Stella découvre l'histoire de la Géorgie. Elle tente de comprendre l'essence de la guerre qui la déchire ; les contradictions entre l'Abkhazie et la Géorgie. Elle découvre qui sont Gamsakhurdia et « un certain Bassaïev, qui avait participé au massacre des Géorgiens en 1993 aux côté des milices russes ». Elle appréhende la légitimité des déclarations de la Russie accusant le président géorgien de l'époque d'inciter à la haine contre les minorités… voire à un génocide. Elle tente de saisir les causes de l'impréparation de l'armée géorgienne ; de l'hypocrisie et de l'inaction de l'ONU ; du sort de milliers de réfugiés.... C'est là une image familière, n'est-ce pas ? Bien que trente ans se soient écoulés, elle n'a rien perdu de sa pertinence. Tout comme les mots mis par l'auteure dans la bouche de Lado Kancheli, un musicien et opposant : « Tu sais, j'ai fait des études en Russie, mais je n'aurais jamais cru que le KGB aurait plus de poids que Tchaïkovski ».

Le roman de Nino Haratischwili aborde de nombreux sujets très complexes, dont la question cruciale en quoi consiste la relation entre enfants et parents, pères et fils (ou filles) – laquelle question n'est pas nouvelle non plus dans la littérature. Les parents ne sont pas choisis, mais la responsabilité des relations avec les enfants leur incombe. Tous leurs mensonges, toutes leurs petites et grandes trahisons, leur incapacité à comprendre et à soutenir leurs enfants, à leur donner le sentiment de sécurité dont ils ont tant besoin… ce tout les traumatise à vie, laissant dans leur âme des blessures non cicatrisées et instillant un sentiment de culpabilité injustifié qui les contraint à grandir prématurément ; à former un complexe de l'enfant abandonné ; à rechercher amour et compréhension auprès d'“étrangers”.

Il reste que ce roman est avant tout un roman d'amour. D’un amour pas seulement idéal ou idéalisé, mais également celui qui « peut mentir et tromper, blesser et flouer ».

Mon doux jumeau fait état d’un enchevêtrement de relations humaines complexes, tissé à partir des fils les plus fins, mais non pas déchirables. Le démêler de page en page a été très intéressant pour moi. J’espére qu'il en sera de même pour vous.

26.06.2024
Tribunal administratif fédéral de Saint-Gall (DR)

En février de cette année, presque exactement au moment du deuxième anniversaire du début de la guerre en Ukraine, je vous ai parlé d'un artiste de Saint-Pétersbourg qui, à l'époque, vivait déjà depuis un an et demi à l'EVAM, l’Établissement vaudois d’accueil des migrants. Il se trouve que le jour même de cette publication, j’ai eu l'occasion de transmettre son dossier à un collaborateur proche de la présidente de la Confédération Viola Amherd – ce non pas dans le but d’obtenir de quelconques privilèges, mais plus simplement pour donner un exemple concret du genre de situation dans laquelle se trouvent certains Russes qui s'opposent ouvertement à la guerre.

Malheureusement, ni moi, ni Konstantin Mitenev n'avons reçu de réponse à notre appel. Mais le 29 avril dernier, le Tribunal administratif fédéral de Saint-Gall se prononçait à propos du recours de Konstantin Mitenev contre la décision du Service fédéral des migrations (SEM) de l'expulser. Le jugement, dont je possède une copie, relate toute l'affaire, que vous connaissez déjà. Le raisonnement du SEM a été également résumé ; il concluait que « les allégations du requérant selon lesquelles il serait considéré comme un « agent étranger » à son retour au pays ne reposaient sur aucun élément concret » et que « rien ne permettait d’admettre que l’intéressé serait appelé à rejoindre l’armée dans le cadre de la mobilisation, notamment au regard de son âge ainsi que de son handicap. »   La décision de le renvoyer en Russie était en conséquence parfaitement légale.

Le Tribunal administratif fédéral a confirmé la justesse de cette décision, rappelant que « des réfugiés sont des personnes qui, dans leur État d’origine ou dans le pays de leur dernière résidence, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social déterminé ou de leurs opinions politiques ». Mais une position ouvertement anti-guerre n'est-elle pas une déclaration d'opinion politique ? Et les autorités suisses ne savent-elles pas que, dans la Russie d'aujourd'hui, même des « délits » moins graves qu'un piquet de grève solitaire devant le Palais des Nations à Genève sont punissables ?

En tout état de cause, le Tribunal a décidé :

–de rejeter le recours ;

–de rejeter la requête d'assistance judiciaire ;

– de réclamer au requérant la somme de 750 francs pour frais de procédure.

Ayant reçu une copie de ce jugement, j’ai été curieuse de savoir qui étaient les juges impliqués.  Il s’est avéré que la décision d'expulser Konstantin Mitenev n'a pas été prise par un collège de juges, mais par un seul juge : Gregory Sauder, diplômé de la Faculté de droit de l'Université de Fribourg et membre actif de l’UDC. Les positions de ce parti sur la guerre en Ukraine sont bien connues ; il est donc, à mon humble avis, impossible d'être absolument certain de l'impartialité de la personne en question – d'autant qu'elle a pris seule sa décision, en l'absence de Konstantin Mitenev et de son avocat. Avocat qui, soit dit en passant, partage mes doutes.

Certes, un tribunal suisse, contrairement à tout tribunal soviétique, ne prétend pas être « le plus humain du monde ».  Du moins peut-on attendre qu’il fasse preuve d’un minimum d'humanité ! Or c’est sur quoi comptait l'artiste, qui se dit extrêmement déçu par la décision du Tribunal administratif fédéral et y voit un parti pris politique.

Comment, suite à pareille décision, sa situation a-t-elle évolué ?

« L'homme au visage impénétrable à qui j'ai parlé au Service cantonal de la population (SPOP) m'a expliqué clairement – et avec insistance – que j'étais en situation irrégulière », me confie-t-il. « Lorsque je lui ai demandé de préciser ce que cela signifiait, il n'a pas répondu. En fait, après la décision du tribunal de Saint-Gall, j'ai perdu mon allocation en espèces (300 francs par mois) et la gratuité des transports publics. Mais j'ai conservé mon allocation “en nature” ; je peux donc obtenir de la nourriture gratuite au magasin de l'EVAM. Par ailleurs, en raison de cette décision d'expulsion, j'aurais dû perdre la chambre que j’occupe ici le 17 mai, mais je ne l'ai pas encore perdue. Il me reste aussi l'assurance maladie, l'assistance médicale et la possibilité d'utiliser un taxi gratuit pour me rendre à mes rendez-vous chez le médecin ».

Quelle suite possible à cette triste affaire ? Peut-on espérer une révision de la décision ? L'avocat de Konstantin Mitenev pense qu’il est nécessaire d’attendre quelques mois avant d’essayer de déposer un nouveau recours, en insistant sur l'état de santé de l’artiste et en tentant de modifier légèrement l'argumentation.

« Le tribunal suisse a dit que la Russie dispose d'excellents services médicaux et que je ne perdrai rien à poursuivre mon traitement là-bas », a ajouté Konstantin Mitenev, non sans une triste ironie. Ensuite il m’a fait part du dialogue qu'il a eu avec un consultant médical du portail des services d’État de la Fédération de Russie. Ce dialogue s'est déroulé comme suit :

« Bonjour. Je souhaite bénéficier d'une invalidité à Saint-Pétersbourg. Puis-je le faire si ma jambe a été amputée en Suisse ?

- Êtes-vous allé en Suisse pour vous faire opérer de la jambe ?

- Non. Je suis un artiste. J'ai voyagé en Suisse pour mes expositions.

- Je ne vous comprends pas. Vous êtes allé en Suisse pour exposer avec une jambe défectueuse ?

- Non. Après l'amputation de trois orteils, la clinique N5 de Saint-Pétersbourg m'a renvoyé avec le diagnostic "en bonne santé, capable de travailler".

- En Suisse, vous avez donc eu des problèmes de santé et avez été admis dans un hôpital local ?

- Oui, c'est exact. Les médecins ont découvert une gangrène et m'ont amputé du pied droit.

- Que voulez-vous faire ?

- Je veux faire une demande d'invalidité à Saint-Pétersbourg parce que j'habite à Saint-Pétersbourg.

- Je crains que vous n'ayez des difficultés avec l'invalidité et les soins médicaux à Saint-Pétersbourg.

- Quel genre de difficultés ?

- Tout d'abord, la clinique où vous avez été traité et d’où vous êtes sorti ne vous donnera pas d'avis favorable sur la nécessité d'enregistrer votre handicap. Vous avez déjà reçu un diagnostic et un résumé de votre état de santé lorsque vous étiez au sein de la Fédération de Russie.

Deuxièmement, si des médecins et des cliniques suisses ont pratiqué sur vous une intervention chirurgicale à la suite de laquelle vous avez besoin d'un statut d’invalide, vous devez faire une demande d'invalidité en Suisse.

- Oui, mais en Suisse, on me dit que je dois retourner dans la Fédération de Russie, étant citoyen de la Fédération de Russie et non de la Suisse.

- Et avec l'argent de qui avez-vous pu vous faire opérer et vivre en Suisse ?

- Eh bien, des organisations caritatives.

- Que voulez-vous de moi ? Je vous ai expliqué l'aspect juridique de votre question. Après, c'est à vous de décider quoi faire. »

 On pourrait croire que c'est drôle si ce n'était pas à ce point triste.

Après avoir effectué des recherches sur Internet, Konstantin Mitenev a découvert que, selon le droit suisse, une personne devenue invalide en Suisse – et c'était son cas, puisque l'amputation a été pratiquée au sein des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) où sa prothèse est en fabrication – a droit à l'assurance-invalidité. Il a donc envoyé une demande à l'EVAM et attend une réponse. Il a également appris qu'il existe un Comité des droits des personnes handicapées au sein du Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l’homme, à Genève, auquel il a également adressé une demande. Laquelle réponse ne lui est pas encore parvenue.

J’espère vivement que les réponses suivront – et qu’elles seront positives. Je vous tiendrai au courant.

 P.S. Chers lecteurs! Le Temps ne publiera pas ce texte. Je compte donc sur vous pour relayer l'information! 

Les yeux d'un artiste sont toujours "wide open". Cette oeuvre de Konstantin Mitenev se trouve dans une collection privée genevoise. Photo © N. Sikorsky
 

A PROPOS DE CE BLOG

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’Ètat de Moscou. Après 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.

En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels – le Forum des 100.

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