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Croce. Sensa delizia

20.06.2025
Ruzan Mantashyan dans le rôle de Violetta © Carole Parodi/GTG

Oui, « un supplice sans plaisir » : telle est notre impression dominante au sortir de La Traviata mise en scène par l’allemande Karin Henkel, à l'affiche jusqu'au 27 juin au Grand Théâtre de Genève.

« Il est impossible de gâcher La Traviata », disait le regretté Youri Temirkanov, dont la mise en scène de cet opéra en 2008 au Festival Verdi de Parme, patrie du génie italien, fut un triomphe et lui valut d'être nommé directeur musical du Teatro Regio di Parma ainsi que le prestigieux prix de la critique italienne « Premio Abbiati della Critica Nazionale ». Mais le maestro russe n'a pas vécu assez longtemps pour assister à la nouvelle production proposée au public genevois et aux visiteurs occasionnels sous le couvert du chef-d'œuvre de Verdi ! Il a eu de la chance.

 À vrai dire, après la critique cinglante de Matthieu Chenal parue dans la Tribune de Genève et celle, tout aussi cinglante, de Julian Sykes dans Le Temps, qui commençait par constater que la metteuse-en-scène avait été huée lors de la première, je ne m’attendais pas à ce que quiconque vienne assister à la troisième représentation, habituellement fréquentée par les sponsors et autres généreux amis du GTG. Mais les mélomanes genevois ne se laissent pas impressionner par la vérité racontée par autrui ; ils veulent se convaincre par eux-mêmes, voir de leurs propres yeux, entendre de leurs propres oreilles... Ils sont donc venus.

La réponse à la question de savoir pourquoi cette nouvelle médiocrité s'est retrouvée sur la scène de notre théâtre financé principalement par l’argent public ? Elle est livrée dans Le Temps, sous la forme la plus innocente qui soit, dans un article de Jean-Jacques Roth (rédacteur en chef du magazine du GTG). À propos de la réalisatrice Karin Henkel il écrit :

« La Traviata n’est que sa seconde incursion à l’opéra, après Le Joueur de Prokofiev qu’elle a mis en scène en 2018 à Gand, déjà à l’instigation d’Aviel Cahn. Aujourd’hui, dit-elle, on attend d’elle “quelque chose d’émancipateur, de contemporain» (Je me suis permise de corriger l’orthographe du nom de Prokofiev mal écrit dans l’original.)

 Tout s'explique donc : l'actuel directeur du GTG, qui a soutenu à l'Université de Zurich une thèse intitulée « Le metteur en scène : statut juridique en théorie et en pratique », a dirigé Vlaamse Opera et s'apprête à déménager à Berlin. Vous voyez le lien de cause à effet ?

© Carole Parodi/GTG

S'étant fixé pour objectif « d'émanciper et de moderniser » l'un des opéras les plus populaires au monde, Karin Henkel a apparemment présumé du fait que le public genevois était aussi peu versé dans ce genre qu'elle-même, et a donc commencé sa mise en scène par la fin, avec Violette mourant sous perfusion, afin que les spectateurs ne se fassent pas – Dieu nous en préserve ! – l'illusion d'un happy end. Beaucoup de gens se souviennent de leur enfance avant de mourir, et Violetta se voit elle-même petite fille, flanquée d’une pancarte « À vendre ! » accrochée à la poitrine. Faut-il commenter ?

Pour que vous compreniez bien, il y a quatre Violetta dans la production : les deux premières – la « vraie » et son « double chantant » ( Ruzan Mantashyan et Martina Russamanno, toutes deux d'un très bon niveau vocal) , la troisième étant la petite fille qui apparaît sans cesse comme un reproche vivant, et la quatrième… un « cadavre vivant » tout droit sorti de Léon Tolstoï. C'est ainsi que j’ai immédiatement identifié le « double dansant » de Violetta (selon le programme du spectacle) et, pour le spectateur, le cadavre de l'héroïne qui se lève dans le prologue d'un cercueil en zinc et accompagne toute l'action scénique. Il faut dire que la ballerine néerlandaise Sabina Molenaar, qui interprète ce rôle, est si professionnelle et si souple qu'on dirait que ce « squelette » n'a pas d'os. Sauf que ses contorsions expressives – voire convulsives – allant jusqu'à évoquer l'image d'un Christ (e) crucifié (e), détournent l'attention du spectateur. Mais peut-être est-ce voulu, en sorte de montrer que tout, sauf la mort, n'est que vanité ?

Je n'ai pas du tout apprécié Alfredo (Enea Scala) : il ne suffit pas d'être né en Italie pour chanter ce rôle emblématique du répertoire ténor. Son compatriote, le baryton Luca Micheletti, m’a fait une bien meilleure impression. Et ce n'est certes pas l’interprète du rôle de Gorgio Germont qui est responsable du fait que le metteur en scène oblige l'élégant baron à boire à la bouteille : la consommation d'alcool, un match de boxe comme allusion au duel à venir, des manières délibérément inélégantes et une grossièreté générale – tous ces attributs du « monde masculin », opposé au monde féminin, sont vieux comme le monde et ne fonctionnent pas, car le monde féminin dans cette mise en scène est dépourvu, lui aussi, de toute beauté.

Je précise : je ne suis pas contre la « modernisation », si elle est faite avec intelligence et goût. Et La Traviata, avec ses thèmes éternels et intemporels, est justement un excellent matériau pour cela ; au reste, j’en ai vu plusieurs versions très réussites. Mais dans la version « émancipée » et « modernisée » (avec les déplacements des fragments de l'ouverture), de même que dans le concept aussi complexe qu’artificiel de Karin Henkel, il n'y a absolument rien de nouveau : des costumes assez hideux aux couleurs criardes et aux épaules larges (on se demande ce qu'elle voulait souligner ainsi ?) à tous les autres clichés déjà vus cent fois. Non, l'inspiration ne s'achète pas, comme disait Pouchkine, et il n'est pas nécessaire d'acheter les droits de La Traviata ; ils appartiennent au domaine public. C'est-à-dire à personne.

Vous vous souvenez de l'ancien slogan publicitaire du chocolat Lindt : « Quelques grammes de finesse dans un monde de brutes! » ? Eh bien, il n'y a pas un gramme de finesse dans cette mise en scène qui laisse le spectateur complètement indifférent, malgré tous les efforts des chanteurs à l’endroit desquels on ne peut qu'éprouver de la compassion.

Ce triste spectacle, une marche funèbre au lieu de Brindisi, clôt la saison du Grand Théâtre de Genève consacrée aux «  Sacrifices ». La saison prochaine sera la dernière pour d’Aviel Cahn dans notre ville. Peut-être que son départ fera changer la direction du vent ?

Outre le sentiment désagréable qui persiste après le spectacle, une pensée me trotte dans la tête. Il existe à Genève l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), une organisation internationale chargée notamment de l'administration de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques et qui, depuis 1974, remplit les fonctions d'institution spécialisée des Nations unies pour les questions de création et de propriété intellectuelle. Pourquoi ne pas demander à ses experts d'élaborer un mécanisme propre à protéger l'héritage des grands créateurs du passé, qui n'ont malheureusement personne pour les défendre ?

A PROPOS DE CE BLOG

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’Ètat de Moscou. Après 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.

En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels – le Forum des 100.

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