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L’accent russe | Le blog de Nadia Sikorsky

15.02.2023
Ilia Répine. Le duel d'Onéguine et Lenski, 1899. © Musée Alexandre Pouchkine, Russie)

Je n’ai pas pu aller voir l’opéra de P. I. Tchaïkovski à l’Opernhaus de Zurich en 2017 lors de sa première présentation mise en scène par l’Australien Barry Koski, célèbre et acclamé. Sensible à de telles ovations et ayant vu depuis sa version de Boris Godounov , j’ai décidé de profiter de la reprise et me suis déplacée outre-Sarine vendredi dernier. Je ne vous cache pas que je voulais surtout écouter Benjamin Bernheim dans le rôle de Lenski.

C’était donc le 10 février, jour anniversaire de la mort d’Alexandre Pouchkine, l’auteur du roman en vers éponyme composé entre 1821 et 1831 et qui a servi de base pour le chef-d’œuvre musical. (Mille excuses à ceux qui se sentiront insultés par ces précisions. Je ne vais pas ici raconter le sujet ; ceux qui l’ignorent pourront le « googler ».) Dans le train, je réfléchissais déjà à ma future chronique. Je pensais la commencer par des remerciements à l’Opéra de Zurich pour son attention : quelle bonne idée que de planifier la première représentation à cette date si haute en symboles ! Je pensais vous parler du rôle singulier de la poésie en Russie, des décès prématurés de ses plus grands poètes et de leur immortalité. Je pensais faire un rapprochement entre les « garçons couverts de sang » qui apparaissent aux yeux de Boris Godounov et le spectre de Lenski qui hante Onéguine. Hélas ! Le choix de la date s’est avéré une simple coïncidence. Quant à mes réflexions et leur petite prétention à la profondeur, je les ai jugées inapplicables au spectacle qui m’a laissé sur ma faim malgré la bonne performance des chanteurs et un bon accompagnement de l’orchestre dirigé par Gianandrea Noseda. Voyons donc.

La scène est couverte de fausse herbe. Non, pas le genre « gazon anglais » adapté aux garden parties, mais bien russe, avec des bosses et des trous, ce qui la rend inadaptée non seulement pour danser le cotillon mais pour y marcher tranquillement : les chanteurs trébuchent et regardent sous leurs pieds. Les deux magnifiques scènes de bal, chez les Larine et à Saint-Pétersbourg, sont donc absentes du spectacle. (En outre, comme me l’a expliqué Benjamin Bernheim le lendemain de la représentation, cette herbe artificielle absorbe le son et exige des chanteurs un effort supplémentaire.) L’action commence comme prévu : Mme Larine et la nounou remplissent des pots de confiture avant de se joindre au duo de Tatiana et Olga. Arrivent les paysans : rentrant de la moisson, ils apportent une gerbe symbolique à Mme Larine, leur propriétaire terrienne. Or, selon le souhait de M. Koski, les paysannes russes sont toutes habillées en jolies robes françaises, parapluies brodés en main, comme si elles ne rentraient pas des champs mais se préparaient pour un déjeuner sur l’herbe. Pour compléter le tableau, une des choristes tient dans la main une baguette en guise de drapeau. Pourquoi ? À la limite, je peux imaginer que le metteur en scène a voulu montrer l’image erronée et « rose » de la vie des serfs russes formée dans les têtes des jeunes femmes de la bonne société, adeptes des romans français. Soit.

Mais comment expliquer le fait que, dans la scène suivante, la nounou, qui reste une domestique, se jette au cou de M. Onéguine, un noble amené par Lenski et qu’elle voit pour la première fois de sa vie ? Une drôle d’idée des relations entre les classes dans la société russe du XIXe siècle !

Suite des événements. Lenski et Onéguine partent en laissant Tatiana (rôle interprété par Ekaterina Sannikova, originaire d’Ukraine et diplômée du Conservatoire de Saint-Pétersbourg) amoureuse et toute bouleversée. À tel point qu’elle se couche sur l’herbe – donc, présume-t-on, dans le jardin –, tout en se plaignant, selon le livret, de la chaleur qu’il fait dans la pièce et demandant à sa nourrice d’ouvrir la fenêtre (inexistante) et d’apporter du papier et une plume. Mais la nounou n’a pas dû l’entendre et elle ne lui apporte rien. En absence des ustensiles demandés, Tatiana se met à gribouiller sa lettre à Onéguine – un épisode majeur du roman en vers et de l’opéra – directement dans le petit volume dont elle ne se sépare jamais et que, une fois sa mission accomplie, elle va déchirer.

Pas de lettre donc. Mais il faut tout de même envoyer le petit-fils de la nounou pour la porter à Onéguine, sinon il n’y a pas de suite dans l’histoire. Que faire ? Une trouvaille du metteur en scène : la lettre est remplacée par un pot de confiture fait maison ; de la confiture de framboise, je présume – un remède traditionnel russe contre petits et grands bobos. J’imagine la confusion des spectateurs perdus entre le texte des surtitres et l’action sur scène ! Quelle idée se cache derrière ? Je l’ignore ! L’absence de lettre n’empêche pas Onéguine (le baryton russe Igor Golovatenko) d’en accuser réception et de prier Tatiana de ne pas nier l’avoir écrite. Voilà un moment idéal pour changer le cours de l’histoire. Il lui suffirait de dire : « Mais de quoi parlez-vous ? Quelle lettre ? J’ai passé la journée d’hier à faire de la confiture, n’avez-vous pas reçu un pot ? » Mais non, le livret l’oblige à écouter une glaciale leçon de morale sans protestation aucune.

(Je remarque en passant que la petite « pause » entre la scène de la lettre et la scène entre Tatiana et Onéguine est remplie d’un charmant chœur de paysannes parties cueillir les framboises sans paniers mais munies des livres, dont ils tapent les couvertures en imitant le battement des ailes d’oiseaux. Que voulez-vous qu’elles en fassent :  elles ne savent pas lire ! Il est bien connu que les paysans russes n’ont eu accès à l’éducation qu’au moment de l’abolition du servage, en 1861. Selon les statistiques, en 1860-1870, donc au moins quarante ans après que Pouchkine a écrit son œuvre, entre 1,7 et 8,6 % seulement des paysans russes étaient lettrés.)

Scène suivante – le bal chez les Larine, lors duquel la querelle éclate entre Lenski et Onéguine. J’ai trouvé bizarre que Lenski lance des accusations à Onéguine pendant que ce dernier lui masse les épaules. Mais, massage relaxant ou pas, Lenski se sent insulté par le fait que son ami drague sa fiancée Olga en lui prenant la main et en dansant avec elle. Il demande satisfaction – autrement dit, il le provoque en duel. Certes, aujourd’hui la raison avancée par Lenski paraît absurde, mais nous sommes dans la première moitié du XIXe siècle et les mœurs ne sont pas les mêmes ! Ayant fait les adieux déchirants à Olga, Lenski lui colle une gifle – pour la route. (Je sursaute sur mon siège dans le noir.) Suit la scène du duel. Onéguine, ce qui est tout à son honneur, fait une tentative de réconciliation, mais en vain. Boum-boum dans les coulisses. Lenski est mort. Onéguine apparaît, deux taches rouges symétriques sur sa chemise.

À ce stade, je m’étais préparée à ce que le dernier acte, qui représente une réception mondaine pétersbourgeoise, ait également lieu sur l’herbe. Mais non ! Pendant l’entracte, un parquet a été posé, bien que les mauvaises herbes parviennent à le traverser à quelques endroits. Pourquoi ? Il faut le demander au jardinier, mais la magnifique polonaise n’existe qu’en musique – personne ne danse. Le vieux prince Grémine raconte à Onéguine son bonheur avec Tatiana, devenue son épouse. (Le célèbre air est très bien chanté par la basse ukrainienne Vitali Kovalev.) Tout se passe plus ou moins comme prévu jusque là. Or, au moment dramatique où Onéguine réalise qu’il est follement amoureux de Tatiana, l’attention du public bifurque brusquement sur un groupe de machinistes qui se mettent à démonter le décor. En quelques minutes, il ne reste plus ni mur, ni colonne sur quoi s’appuyer. Le divan sur lequel Onéguine s’est assis est lui aussi enlevé.

La dernière scène entre Tatiana et Onéguine pose de nouvelles questions. Il se met à pleuvoir, mais nos personnages restent secs. Tatiana déclare qu’elle restera fidèle à son mari et, sans raison particulière, jette Onéguine à terre. Est-ce cette démonstration de la force féminine, morale et physique, qui l’oblige à chanter les dernières paroles de l’opéra : « La honte! La solitude ! Oh ! mon triste destin ! » ? On se le demande…

… Pardonnez-moi ce ton ironique, un moyen de cacher ma déception. Il est évident que les chanteurs ne sont pour rien dans ce spectacle superficiel : lors d’une longue interview  avec M. Bernheim nous avons parlé, entre autres, de cette dépendance aux metteurs en scène ; dépendance à mes yeux dangereuse. J’ai été frappée d’apprendre que l’interprète du rôle de Lenski ignorait que Pouchkine lui-même avait été tué en duel – ce qui, aux yeux des Russes, fait de Lenski une incarnation de notre plus grand poète. Peut-être, au lieu de jouer avec les pots de confitures, M. Koski aurait-il mieux fait d’expliquer aux membres de la distribution quelques faits de base concernant l’œuvre dont il présente sa « lecture » ? J’aime beaucoup le théâtre et réalise que c’est un genre fictionnel. Mais cela ne justifie pas, à mon humble avis, la rupture entre l’action scénique et le texte original au prix de la logique du sujet et du sens commun.

08.02.2023

Contrairement à certains auteurs dont je vous parle dans mes chroniques, Chamil Idiatoulline est bien vivant. Contrairement à certains autres, il continue à vivre à Moscou où il travaille chez Kommersant, le seul journal russe que je lis tous les matins. Je n’ai pas besoin de vous expliquer la virtuosité d’équilibriste qu’il faut, à l’heure actuelle, pour exercer le métier de journaliste à Moscou. Il faut vraiment peser ses mots. La liberté est un peu plus grande dans la fiction vers laquelle Chamil s’est tourné en 1988. Depuis, il a publié neuf romans, dont deux ont été distingués par le prix Bolshaïa Kniga (« Le Grand livre »), le plus important prix littéraire en Russie. L’un d’eux, intitulé Ex-rue Lénine, est paru la semaine dernière aux Éditions Noir sur Blanc ; il a été traduit par Emma Lavigne. C’est grâce à ce roman que j’ai découvert l’auteur que j’ai l’intention de suivre.

Chamil Idiatoulline est né en 1971 à Oulianovsk, anciennement Simbirsk, la ville natale de Vladimir Lénine ; comme lui, il a fait des études à l’Université de Kazan d’où, précise Chamil, contrairement au leader bolchevique, il n’a pas été expulsé. En parcourant la liste des titres de ses romans, on croit comprendre que nous avons à faire à un nostalgique du passé soviétique. Cette idée-là est fausse. Bien au contraire, sa pensée est tournée vers l’avenir, et même avec un certain degré d’optimisme – ce qui fait du bien.

Le titre français Ex-rue Lénine ne transmet pas, hélas, les « strates » cachées dans le titre original, Бывшая Ленина, lequel tend à suggérer qu’il ne s’agit pas seulement de la rue qui portait, dans le passé, le nom de Vladimir Lénine, mais aussi de l’ex-maîtresse de Lénine (à savoir d’Inès Armand, femme politique communiste d'origine française, morte du choléra en 1920 à Naltchik, Caucase), ou de quelque chose qui, auparavant, appartenait à Lena (diminutif d’Elena, laquelle est l’héroïne du roman). Ceci précisé, nous sommes déjà plus proches du sens du titre original, voulu par l’auteur qui souhaitait raconter l’« ex-vie » de Lena dans l’ex-pays de Lénine.

Au premier abord, on pourrait considérer ce roman comme « écologique ». L’action se déroule à Tchoupov, une petite ville de province imaginée par Chamil Idiatoulline mais parfaitement identifiable car elle est la copie de centaines de petites villes bien réelles. La particularité principale de Tchoupov est une immense décharge où s’entassent les ordures de toute la province. (En parlant avec Chamil, j’ai appris que tchoup signifie « ordures » en tatar, sa langue natale.) Toute l’action du roman tourne autour de cette décharge qui, bien avant le Covid, oblige les habitants à porter des masques sanitaires. Chaque appartement, chaque espace fermé est équipé de filtres aromatisés à la vanille, mais en vain : une odeur insoutenable pénètre partout et remplit tout.

On pourrait également considérer ce roman comme « politique ». En effet, tous les éléments sont là : les élections locales, la corruption, les mensonges quotidiens, les manifestations dans la rue (lors d’une de ces manifestations les citoyens refusent, pour une raison inconnue, d’accepter l’usine d’incinération d’ordures proposée par la Suisse), l’arrestation d’un haut fonctionnaire en plein repas, et même l’empoisonnement délibéré de la moitié de la population par les autorités dans le seul but d’attirer l’attention des chaînes fédérales de la TV. Sans succès : la ville est trop petite, elle est sans importance. La ville pue, ses habitants en meurent et tout le monde s’y habitue.

Toutefois, ces grands axes du roman sont secondaires ; ils servent uniquement de fond pour conter l’histoire de Lena, ce que Chamil Idiatoulline fait avec grande finesse et une compassion plus grande encore, tout en démontrant une profonde connaissance de la psychologie féminine. « Ce livre a été conçu comme l’histoire d’un amour qui meurt. Comment vivre après ? Je ne donne pas de réponse à cette question, mais je montre comment les divers personnages la cherchent. La décharge communale est apparue dans le roman pour servir de contraste avec le drame personnel de Lena, – m’a confié Chamil Idiatoulline lors d’une grande interview qu’il m’avait accordé. – À un moment donné, j’ai remarqué que beaucoup de couples autour de moi, de mon âge, divorçaient. Naturellement, je me suis mis à la place des hommes et je me suis dit : j’ai 45 ans, je ne suis ni gros, ni chauve, j’occupe une bonne position professionnelle, les filles me font les yeux doux, j’ai encore une chance de refaire ma vie. Puis je me suis mis à la place d’une femme – et là, j’ai été tétanisé. J’ai imaginé une femme qui vit pendant 20 à 25 ans avec son mari. Toute sa vie est concentrée sur lui et leurs enfants : les chemises sont-elles repassées ? Les devoirs sont-ils faits ? Elle-même et ses problèmes sont au second plan de ses préoccupations. Et voilà qu’au moment où elle pense enfin pouvoir profiter de la vie, son mari lui annonce qu’elle lui a gâché la sienne, que les enfants sont grands et que lui part avec une autre. C’est la sentence de mort pour Lena – comment survivre à ça ? »

Rassurez-vous, chers lecteurs et lectrices, les femmes sont plus robustes et plus inventives qu’on ne l’imagine ! Ayant surmonté le sentiment d’être jetée à la poubelle (décharge des ordures !) par celui à qui elle avait consacré sa vie, ayant tant bien que mal recollé son cœur brisé, Lena trouve de nouveaux centres d’intérêt et met ses multiples talents au service de ceux qui les apprécient. Quant à son ex, sa nouvelle (et jeune) femme le quitte et la carrière brillante qu’il comptait faire reste un rêve. « Je suis convaincu que derrière chaque homme qui réussit dans la vie, il y a une femme intelligente. Le mari de Lena lui devait tout et le fait qu’il ne l’a pas compris montre qu’il était bien bête », conclut Chamil Idiatoulline.

… Nous quittons Lena au moment où elle part à l’hôpital en laissant une lettre adressée à sa fille. Va-t-elle revenir à la maison, à l’ex-rue Lénine ? Nous l’ignorons, bien que Chamil m’ait promis qu’il lui a trouvé une maladie curable…

Un très beau roman, je vous le conseille.

17.01.2023

Certains parmi vous se souviennent qu’en octobre dernier j’ai organisé, à Genève, un concert avec la participation de jeunes musiciens russes et ukrainiens déplacés en Suisse par la guerre et ayant pour but de les soutenir.

Je pense que celles et ceux qui y ont assisté conviendront que cette réalisation, née de la plus profonde tristesse mais aussi de l’espoir – cet espoir qui meurt en dernier – n’était pas un événement comme les autres.  Outre les émotions et le sentiment d’attendrissement, le public a été surpris et impressionné par le haut niveau professionnel de ces enfants-adolescents-jeunes adultes âgés de 11 à 19 ans. Nous avons collecté une somme importante, et je profite de cette occasion pour remercier tous les donateurs de leur générosité.

Ce concert fut initialement prévu comme un événement unique. Mais tout le monde l’a tant apprécié, tant de personnes m’ont encouragée à poursuivre cette initiative… Non, non, non, disais-je : hors de question ! J’ai résisté. Mais voilà que le 4 février 2023, à 16 h les dix pianistes et violonistes vont se présenter à Gstaad. Au nom de tous ces jeunes musiciens, leur parents et pédagogues je remercie le festival « Les Sommets Musicaux » – surtout son directeur artistique Renaud Capuçon et sa directrice Ombretta Ravessoud – qui, sans pouvoir intégrer ce concert dans le programme établi longtemps à l’avance, nous ont offert ce lieu magnifique qu’est la Chapelle de Gstaad ainsi que leur soutien amical. MERCI !

En une heure seulement le public pourra observer les différentes étapes de la formation d’un musicien : de la petite Aïa qui s’est mise au piano pour la première fois au mois de mai de l’année dernière, à Genève, jusqu’aux « grands » qui recueillent des prix lors de concours internationaux. Pour tous ces enfants, nos enfants, dont les vies sont traversées par la guerre, la musique reste la lumière au bout du tunnel vers lequel ils se dirigent.

Venez les applaudir ! Et si le déplacement s’avère compliqué, vous pouvez toujours soutenir notre action – je vous donnerai volontiers tous les détails. Rendez-vous à Gstaad ?

09.01.2023

À l’école soviétique comme à l’école russe d’aujourd’hui, l’œuvre de Mikhaïl Prichvine (1873-1954), celui qu’on appelle le fils tardif de l’Âge d’argent de la littérature russe, est enseignée en 5e ou 6e année. Rares sont ceux qui retournent plus tard à cet auteur. Moi aussi, je suis restée avec l’image d’un écrivain amateur et chantre de la nature, auteur d’innombrables histoires de petits écureuils, lapins, hérissons et autres attachants habitants du Cellier du soleil. On peut supposer qu’il a hérité de cette passion pour la nature de son père : Mikhaïl Prichvine senior élevait des trotteurs d’Orel, cultivait des fleurs et des arbres fruitiers ; il adorait la chasse. Hélas, plus encore il adorait les jeux de cartes : il dut vendre son élevage de chevaux et mettre en gage son domaine pour pouvoir payer une dette. Il est mort paralysé et ruiné alors que Micha, son cadet et le cinquième de ses enfants, n’avait que cinq ans. Bravo à sa mère, qui, endettée jusqu’au cou, assura à tous les cinq l’opportunité de faire études supérieures. Les enfants pardonnent facilement. Ainsi, beaucoup plus tard, dans son roman intitulé La Chaîne de Kachtcheï, Prichvine dressa une image émouvante de son père qui lui dessinait des castors bleus – symbole d’un rêve inatteignable.

Dans son enfance, rien n’annonçait à Mikhaïl Prichvine un avenir glorieux. Au gymnase au cœur d’une province russe, il mit six ans à accomplir le programme des quatre années requises, ce qui lui valut la remarque « cas désespéré » dans son dossier scolaire de 1884. Néanmoins, ce n’était pas en raison de ses notes, mais de sa mauvaise conduite qu’il se vit renvoyer : il eut l’audace de parler effrontément à son professeur de géographie Vassili Rozanov, le futur philosophe orthodoxe et critique littéraire bien connu. Prichvine poursuivit pourtant ses études – d’abord à Riga, à l'Institut de technologie, puis à l'Université de Leipzig où, en 1902, il obtint un diplôme d’agronome. Journaliste militaire pendant la Première Guerre mondiale, Prichvine avait commencé, en 1898, à écrire pour des magazines, et Sachok, son premier récit, fut publié en 1906. Dans les années 1920 il subit de la part de l’Association russe des écrivains prolétariens des critiques d’une vigueur telle qu’il considéra sérieusement la possibilité d’abandonner la littérature et de redevenir agronome. Heureusement, l’Association, dont les meneurs ne laissèrent aucune trace mémorable dans la littérature, fut dissoute avant même qu’il mît à exécution son intention. Aucune des grandes œuvres de Prichvine écrites dans les années 1940 ne fut publiée de son vivant – la censure soviétique les considérant comme dangereuses. Ses Œuvres en six volumes parurent post mortem ; les deux derniers volumes sont entièrement composés d’inédits.

Un grand merci aux Éditions Noir sur Blanc pour la découverte que nous réserve le volume des œuvres de Prichvine paru sous le titre Le Pèlerin noir et autres récits – découverte d’un auteur dont le talent est autrement plus grand et varié que ce que nous avait fait comprendre le programme scolaire russe. Nous y trouvons Prichvine en fin connaisseur de la nature, certes, mais également en philosophe et poète, en voyageur hors des sentiers battus, en témoin sensible de son temps dont il observe les détails cachés à un regard superficiel. En outre, nous y trouvons un homme solitaire et malheureux pour qui la nature constitua un refuge à une vie conjugale privée d’amour – exception faite des derniers quatorze ans passés avec Valeria Liorko, apparue un beau jour dans son bureau pour assumer les fonctions d’une secrétaire littéraire. Il y eut affinité…

Le volume contient trois récits entrecoupés par des extraits du journal intime de Prichvine qu’il tint secrètement pendant presque cinquante ans. Le Pèlerin noir (1910) est né d’un voyage chez les nomades de l’Asie centrale : aujourd’hui encore, la plupart de mes compatriotes le trouveraient aussi exotique que vous, les « étrangers ». Un récit magnifique, profondément poétique, dans lequel la description de la nature mêle références bibliques et légendes locales et qui donne une bonne idée des mœurs des habitants de la steppe kirghize. Je tiens à souligner que la langue de Prichvine – pittoresque, puisant dans plusieurs dialectes et remplie de termes ethnographiques – est par moments difficile, même pour un(e) russophone. Toutes nos félicitations donc à Yves Gauthier pour son travail remarquable ainsi que pour la préface très instructive qu’il a également signée.

Ginseng, ode amoureuse à la taïga russe, fut le résultat d’un autre voyage, cette fois en Extrême-Orient. L’auteur se réfère à ce texte achevé en 1933, comme le seul ayant été écrit « en toute liberté ». Effectivement, ce conte de fée écologique est en totale dissonance avec les canons du réalisme soviétique imposés à l’époque à tous les créateurs.

Mais j’ai été surtout impressionnée par le récit Le Calice d’ici-bas, œuvre d’une beauté exquise ainsi que document historique unique. L’action se déroule au « XXe siècle, an 19 », deux ans seulement après la révolution bolchévique, dans « un palais de style empire » – un domaine de maître converti en « musée de la vie quotidienne domaniale ». Quel mélange de nostalgie et d’ironie ! Je l’avoue : je suis contente de ne pas l’avoir lu plus tôt, car seule l’expérience vécue permet de l’apprécier à sa juste valeur. Voici un passage à faire vibrer autant Greta Thunberg que tous les spécialistes de la Russie :

« Au seul mot de “liberté”, des millions de Russes se sont empressés de se tailler une nouvelle croix, comme s’ils n’avaient pas assez enduré jusque-là ! En deux ans à peine, les forêts ont été tellement défigurées, obstruées par les ramures et les cimes, que l’herbe et les fleurs n’ont pas repoussé et qu’il est devenu impossible d’aller aux baies et aux champignons, que les lacs, désertés, se sont vidés de leurs poissons, engorgés par les bombes des soldats, et que les oiseaux se sont dispersés… […] Il n’y a plus que le ciel, commun à tous et inaccessible, qui continue de rayonner sur l’immondice. […] Je ne dis pas juste ? Mais il est vrai que la Russie se présentait comme un désert avec des oasis ; les oasis ont été abattues, les sources ont tari, et le désert est devenu impénétrable. La Russie… Ou peut-être n’est-ce là qu’un sentiment du passé ? Mais quel passé avons-nous ? Le peuple de Russie est immuable dans sa façon de vivre. L’histoire du pouvoir sur le peuple russe ? L’histoire des guerres ? Une immense majorité du peuple russe ne se soucie ni du pouvoir ni des guerres qu’on se fait. L’histoire de la souffrance de l’être conscient, ou bien l’histoire de la Russie ? Oui, c’est l’histoire de la Russie, mais quand finira-t-elle enfin, cette horrible histoire ? »

Bonne question, et on ne peut plus d’actualité ! De nos jours, de telles réflexions vaudraient à leur auteur d’être taxé d’« agent de l’étranger » ! Et pourtant Prichvine écrit dans son journal intime, le 16 octobre 1909 (hélas, cet extrait est absent de l’édition en question ; je l’ai trouvé dans l’édition originale russe) : « La Russie ! ma patrie, ma chère, chère patrie… Ici seulement, sur les bords violets du lac salé ai-je réalisé que je t’aime, que tu es splendide… » Comment ce regard parfaitement lucide sur la Russie peut-il coexister avec un amour sans limite ? Il est difficile de le comprendre, de le concevoir, et pourtant, c’est ce que nous vivons aujourd’hui, moi-même et tant de mes amis…

Mais terminons en beauté, sur une note poétique extraite du même journal et datée du 29 décembre 1909 : « Si un jour les étoiles venaient à tomber du ciel sur la terre, quel ennui, quelle épreuve ce serait »…

27.12.2022
Photo © N. Sikorsky
Nous sommes, malgré tout, en période de cadeaux ; de Lux et de luxe. Je me suis donc offert une combinaison des deux en allant écouter Boris Godounov au Teatro alla Scala, à Milan. Cet opéra, je le connais par cœur ; je l’ai vu… je ne sais trop combien de fois, dans toutes sortes de mises en scène – y compris celles du Grand Théâtre de Genève  et de l’Opernhaus de Zurich. À l’origine toutefois, il y eut pour moi la production du Théâtre Bolshoï, version 1948 et toujours vivante, dont le côté spectaculaire demeure inégalé : les costumes et les décors somptueux, d’authentiques cloches d’église qui se prennent à sonner et un véritable cheval qui se promène sur scène, flanqué d’une personne marchant derrière lui pour ramasser les résultats d’un éventuel accident. Cette version durait 4h30, mais elle les valait amplement. J’ai tenu à me rendre à Milan également pour manifester mon soutien à ce théâtre. Vous le savez peut-être, la veille de l’ouverture de la saison – avec « Boris Godounov » justement –, ses murs ont été aspergés par de la peinture rouge, couleur de sang. Vous le savez peut-être également, Ricardo Chailly, directeur musical du Teatro alla Scala, a répondu de la sorte à la lettre du consul d’Ukraine qui exigeait l’annulation de la production : « Nous sommes tous avec le peuple ukrainien en attente de la fin du conflit, mais la politique et ses conséquences ne peuvent pas contraindre la culture ». Et il a rappelé que le 4 avril 2022 une représentation gratuite du Stabat Mater de Rossini avait été donnée dans ce même théâtre, et que les 380 000 euros collectés avaient été offerts aux réfugiés ukrainiens. Bravo, Maestro ! Au cœur de l’œuvre magistrale de Modest Moussorgski se trouve un personnage historique dont l’historien Nikolaï Karamzine fit le due diligence dans sa monumentale Histoire de l’état russe. Boris Godounov était devenu le premier tsar « élu » à la suite de la décision de la tsarine Irina, héritière de feu Fedor I, de se retirer au monastère. (Oui, il faut toujours chercher la femme !) Durant 40 jours le trône russe était resté inoccupé, après quoi Boris s’était fait supplier par le Zemski sobor, une sorte d'assemblée convoquée pour la première fois par le tsar Ivan le Terrible et composée du patriarche orthodoxe et de la Douma des boyards. Après une coquetterie qui avait duré une semaine, il avait accepté le job et le « pouvoir suprême » qui allait avec. 
Photo : Brescia e Amisano ©Teatro alla Scala
Son destin a inspiré le poète Alexandre Pouchkine, dont les monuments sont aujourd’hui démontés en Ukraine. Il est utile de rappeler que Pouchkine a écrit Boris Godounov en 1825, l’année de la révolte des décembristes, dans son village de Mikhaïlovskoïe où il avait été exilé, accusé d’un esprit trop libre et d’un penchant pour l’athéisme. Cette œuvre en vers fut publiée en 1831, mais resta prohibée jusqu’en 1866. Pourquoi censurer un poème consacré à un personnage historique ? Peut-être à cause du sous-titre que Pouchkine lui avait donné : Comédie du malheur présent de l'État moscovite, du tsar Boris et de Grichka Otrepiev. Lisez-le bien, ce sous-titre ; il contient toutes les clés. Vous comprenez certainement, chers lecteurs, que ma perception du spectacle milanais fut fortement affectée par le contexte actuel, alors que le malheur frappe mon pays d’origine ; un malheur infligé par lui-même. Que le tsar Vladimir s’accroche à son trône et se trouve aussi proche de Kirill, le patriarche actuel, que Boris l’était à Iov. Que tous les « Grichkas » et autres « imposteurs » dotés du potentiel de semer le chaos dans les têtes des bons citoyens dociles sont exterminés ou jetés en prison pour une durée indéterminée, tandis que Ivan le Terrible continue d’être glorifié comme « l’unificateur de la grande Russie ». C’est juste la « comédie » qui ne s’applique pas : les résultats du cirque du système électoral et de la corruption sans bornes ne font plus rire personne.  Le Boris Godounov de Moussorgski compte une demi-douzaine de rédactions. Le Teatro alla Scala a choisi celle de 1869, un peu plus courte, dépourvue de l’histoire d’amour entre l’imposteur Grichka et la belle Polonaise Marina Mnichek. Évidemment, ce choix fut fait bien avant le début de la guerre en Ukraine mais il s’avère opportun car il souligne le caractère machiste de la société russe. Les femmes dans le spectacle ne sont que des personnages secondaires sans importance. Un autre grand absent de cette version est la révolte populaire, présente dans la deuxième rédaction de l’opéra effectuée par Nikolaï Rimski-Korsakov en 1872.  Et ce ne sont pas les seuls parallèles avec l’actualité qui sautent aux yeux. 
Ildar Abdrazakov dans le rôle de Boris Godounov Photo: Brescia e Amisano ©Teatro alla Scala
La distance qui sépare le tsar et « son » peuple est annoncée par Pouchkine et Moussorgski dès la première scène de leurs œuvres respectives et est parfaitement reflétée par le metteur en scène danois Kasper Holten. Elle est même renforcée : Si Boris est au centre de l’attention, il est pourtant physiquement absent. Dès que le rideau s’ouvre, le spectateur voit des figurants (choristes) qui déchirent des pages manuscrites : une histoire sera réécrite une fois de plus. Pendant que Boris se fait prier bien au chaud, protégé par les murs du Kremlin, la foule gèle dehors – nous sommes en février 1598. Le pristav (flic des temps anciens) distribue d’abord les portraits de Boris, puis les icônes. À l’imploration de la foule « Entre les mains de qui nous as-tu laissés, notre père ? » se substitue le « Gloria ! ». Tout est parfaitement orchestré, dans tous les sens de terme. D’ailleurs je tiens à remercier tout particulièrement M. Holten pour l’absence de la moindre caricature, de la moindre vulgarité durant les trois heures de la représentation – chose rarissime de nos jours. La très impressionnante scène du couronnement de Boris, avec toute l’opulence et la splendeur du rite orthodoxe, avec la porte d’or qui s’ouvre et le tapis qui se déroule devant le nouveau monarque, ne rappelle que trop les images de l’intronisation de Vladimir Poutine, broadcastées par toutes les chaînes TV du monde. Une fois n’est pas coutume : je n’ai pas été gênée par le fait que la tenue dorée de Boris (interprété par Ildar Abdrazakov, égal à lui-même et ovationné par le public) soit remplacée par un costume presque contemporain : le sujet est vraiment intemporel. Les toutes premiers paroles prononcées (chantées) par le nouveau tsar sont : « J’ai mal à l’âme » («Душа болит»), ce qui nous plonge tout droit dans le débat éternel sur les « particularités de l’âme russe » (tout aussi éternelle ?) et ses dérives de la normalité. On regrette quelque peu l’absence d’une bougie lors du récit de Pimen (ce rôle est interprété par la très bonne basse estonienne Ain Anger) ; cette bougie qui est censée s’éteindre pour marquer la fin de l’histoire qu’il raconte. Mais je suis prête à aller jusqu’à concéder que ce choix makes sense car, en fait, l’histoire n’est pas finie. D’autre part, les grands parchemins qui se succèdent au fond de la scène comme les pages de l’Histoire qui tournent – et qui retournent ! – est une excellente trouvaille scénographique !
Ain Anger dans le rôle de Pimen Photo: Brescia e Amisano ©Teatro all Scala
Et comment ne pas penser à ce que nous vivons aujourd’hui lors de la scène de la frontière lituanienne qui sépare – même visuellement – le royaume russe avec son alphabet cyrillique de l’Europe avec l’alphabet latin ? Le pristav annonce l’oukaz selon lequel tous ceux qui essayent de fuir Moscou doivent être arrêtés et fouillés ! Mais – raté : Grichka a pu s’éclipser. Comme tant d’autres après lui. (J’aimerais féliciter la basse russe Stanislav Trofimov que j’ai découvert et qui est excellent dans le rôle de Varlaam.) Le seul vrai bémol, à mon humble avis, c’est la scène de Iourodivi, cruciale dans l’opéra. Le rôle de ce personnage étrange dont on traduit le nom soit comme « l’Innocent » soit, en italien, comme « Il folle in Cristo », ne prend que quelques minutes du temps scénique. Pourtant, dans l’âge d’or du Bolshoï, il ne fut confié qu’aux meilleurs ténors, car il demande une combinaison d’un timbre particulièrement tendre sans être soapy, la perfection artistique et la profondeur accrue de l’interprétation : c’est ce « Fou » misérable qui affronte le Tsar tout-puissant. Il faut effectivement être fou pour oser une chose pareille ! J’ai été un peu déçue par la performance de Yaroslav Abaimov et par les instructions qu’il a sûrement reçues du metteur en scène : à mon avis, Iourodivi ne devrait pas regarder dans la salle, il devrait fixer les yeux de Boris, l’obligeant à détourner son regard – sa vision étant perturbée par les images des garçons couverts de sang. Présenté à l’école soviétique comme la vox populi, Iourodivi incarne la conscience qui, un jour, rattrape même les plus inconscients parmi nous. En regardant cette scène, j’ai été frappée par une chose : habituellement, c’est au moment où Iourodivi accuse Boris d’avoir tué le petit tsarevitch que les cheveux se dressent sur les têtes des spectateurs. Mais cette fois, c’était sa prophétie macabre qui m’est entrée droit dans le cœur, comme le couteau dans le dos de Boris quelques scènes plus tard : « … et les ténèbres viendront, les ténèbres obscures, impénétrables. Malheur à la Russie ! Pleure, pleure, peuple russe, peule affamé ». Cela donne des frissons.
Boris Godounov (Ildar Abdrazakov) conseille à son fils Fedor (Lilly Jorstad) à ne faire jamais confiance à personne Photo: Brescia e Amisano ©Teatro alla Scala
Tout russophone, sans même avoir lu le texte intégral de Boris Godounov, connaît la ligne finale qui suit l’annonce de la « mort subite » de Boris et de ses enfants-héritiers, la dernière remarque de Pouchkine : « Le peuple reste silencieux ». « Silencieux », voire indifférent. Nous sommes ici face à ce silence éternel qui finit par transformer les agneaux innocents en moutons dangereux.  Ceux qui appellent à l’annihilation de la culture russe devraient, à mon avis, tout au contraire la propager car rien ni personne ne met le doigt sur les maillons faibles de ce pays avec la même clarté poignante que ses grandes œuvres classiques. Certains disent que l’art et la culture se montrent faibles face à la guerre. Quant à moi, je constate leur remarquable résistance. Bravi tutti, grazie mille. Viva la musica, viva la poesia !   

A PROPOS DE CE BLOG

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’Ètat de Moscou. Après 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.

En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels – le Forum des 100.

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