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L’accent russe | Le blog de Nadia Sikorsky

Vendredi dernier j’ai assisté au débat du Club suisse de la presse qui s’annonçait très intéressant. Voici le résumé qui accompagnait l’invitation :
« Alors que le conflit russo-ukrainien s’intensifie, la guerre de l’information fait rage et prend des proportions inédites. Les répercussions de cette bataille entre tenants d’une forme de “censure de guerre” et défenseurs de la liberté d’expression sans limite a aussi ses répercussions en Suisse et en Suisse romande. L’information est-elle une arme de guerre et, si oui, quelle est sa véritable force de frappe ? Y a-t-il une censure légitime en temps de guerre ? La presse doit-elle choisir son camp ? A-t-elle pour mission de défendre la démocratie à tout prix ? Et que devient la liberté d’expression ? Réduite à rien ou presque en Russie, la liberté de parole se trouve-t-elle aussi menacée en Europe, en Suisse ? A-t-on le droit de “comprendre” voire soutenir certaines réactions de Vladimir Poutine ou de critiquer l’Occident ? Quelles règles s’imposent aux journalistes en temps de guerre ? » A toutes ces questions s’en est vu rajouter une autre, très importante, celle du rôle des réseaux sociaux – une première dans un conflit armé en Europe.
Le panel a été composé de cinq journalistes et experts – que des hommes ! – que Pierre Ruetshi en tant que modérateur a nommé les « faconds conférenciers ». Connaissant bien leurs avis sur les questions évoquées j’ai trouvé leur disposition sur le podium bien éloquente : d’un côté, Philippe Reichen, correspondant du Tages Anzeiger en Suisse romande et Stéphane Benoit Godet, rédacteur en chef de l’Illustré. De l’autre, Eric Hoesli, président du Conseil d’administration du journal Le Temps, journaliste, éditeur, auteur d’ouvrages sur la Russie et « père biologique » de Nasha Gazeta dont il s’est distancié fin 2009 déjà, et Guy Mettan, journaliste, président de la chambre de commerce Suisse – Russie, politicien bi-national suisse et russe et auteur d’ouvrages sur la Russie dont Russie-Occident, une guerre de mille ans : La russophobie de Charlemagne à la crise ukrainienne. Entre eux, en guise d’une instance neutre – Denis Masmejan, membre du Conseil suisse de la presse, expert des questions de droit des médias.
Cette image m’a rappelé le « stenka » (en russe : стенка, mur), ou « stenka na stenkou » (en russe : стенка на стенку, mur contre mur) qui est un art martial russe dérivé du pugilat traditionnel russe et pratiqué en équipe. Heureusement, les orateurs ne sont pas passés aux combats à mains nues ; quant à leur bataille verbale, elle ressemblait plus à un échauffement.
Le débat est disponible online , je ne vais pas vous le raconter – je vous invite à le regarder. Mes commentaires sont les suivants. Globalement, j’ai été déçue par son niveau. D’abord, les positions prises étaient prévisibles. Trop prévisibles. Puis, face aux questions vraiment cruciales d’aujourd’hui, les questions qui divisent le public autant que les journalistes eux-mêmes, les orateurs, à mon avis, ont consacré trop de temps aux accusations mutuelles et auto-justifications.
L’opposition principale s’est centrée autour de la question essentielle de la censure, à savoir : la guerre, permet-t-elle la censure en général et, plus précisément, l’interdiction des chaines russes Russia Today et « Sputnik ». Stéphane Benoit Godet, que je connais depuis longtemps et à qui je dois ce blog dans Le Temps, s’est trouvé en minorité en approuvant la censure – « à la guerre comme à la guerre », a-t-il dit. En serrant les dents et contre mon cœur et mes tripes, je ne peux pas le soutenir, moi non plus !
Depuis le début de cette guerre, je pense tous les jours à la liberté dont je dispose en tant que journaliste ici, en Suisse. Durant les 15 ans d’existence de mon journal, aucun de mes sponsors (que je préfère considérer comme partenaires) n’a essayé de m’imposer ses opinions, pas une seule fois. Cette liberté que je prenais pendant longtemps comme quelque chose de normal, je la perçois aujourd’hui comme un immense privilège. Et c’est précisément cette prise de conscience qui m’oblige à être contre la censure.
Je suis très fière de compter parmi mes lecteurs les représentants des toutes les ex-républiques soviétiques. Je perçois ce fait comme preuve du bon choix de ma ligne éditoriale qui a pour but d’unir et pas de séparer. Et je ne me suis jamais sentie autant soutenue par mes lecteurs, y compris mes lecteurs ukrainiens, comme ces jours-ci.
Je déteste Russia Today et Sputnik, ces chaînes qui ciblent le public en dehors de la Russie. Elles sont abjectes. Je ne les regarde pas, c’est mon libre choix. Mais je me force à regarder, tous les jours, la Première chaine de la TV russe, toute aussi abjecte, pour essayer de comprendre ce qui se passe dans les têtes de Russes qui n’ont que cela comme source d'information.
Je suis contre la censure, y compris de la censure de ces deux chaînes odieuses, pour plusieurs raisons. 1 : Il faut connaître son ennemi. 2: Le fruit défendu est celui qui a le meilleur goût. 3 : En appliquant la censure, l’Ouest se met au niveau du gouvernement russe qui fait exactement cela, et se prive ainsi d’un argument majeur pour la dénonciation de cette politique répressive. 4 : Tous les spectateurs ne sont pas débiles et peuvent faire la part des choses. J’espère que vous avez tous vu la récente performance de l’ambassadeur russe auprès de l’UNOG sur le plateau de RTS, cela vaut la peine. 5 : Ma professeure de la littérature française à l’Université de Moscou adorait cette phrase attribuée à Voltaire – « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ».
A mon avis, ce dernier point, si bien formulé par Voltaire, correspondant privilégié de Catherine la Grande, distingue l’état de droit d’un régime totalitaire. Une démocratie n’est pas un menu à la carte. Voilà pourquoi je soutiens la décision du Conseil fédéral, prise vendredi dernier même, de ne pas reprendre la mesure arrêtée par l’UE le 1er mars concernant la diffusion de Sputnik et Russia Today bien que, selon Guy Parmelin, « elles diffusent des mensonges et de la désinformation dans le but d'attiser les incertitudes et d'utiliser la liberté de nos démocraties contre la Suisse ». Comme l’a dit le Conseil fédéral à juste titre, pour contrer des affirmations inexactes et dommageables, il est plus efficace de leur opposer des faits plutôt que de les interdire. Il est de la responsabilité d’un état démocratique d’assurer le droit fondamental qui est la liberté de l’expression. Le Conseil fédéral assume cette responsabilité.
P.S. La photo ci-dessous est la preuve que j’ai entendu tout ce qui a été dit au Club de la presse de mes propres oreilles, sans me confier à un intermédiaire quelconque.


ll est difficile d’imaginer une œuvre d’art qui correspondrait plus à notre état d’esprit actuel que le chef d’œuvre de Guiseppe Verdi dans la mise-en-scène de Barrie Kosky à l’Opernhaus Zürich bien qu’elle date de 2016.
En ce moment qui ne se prête pas aux distractions, je me suis tout de même rendue à Zurich, et ceci pour deux raisons. D’abord, parce que je partage la certitude exprimée il y a quelques jours par le maestro Jonathan Nott que la musique soulage. Puis, parce que je voulais voir de mes propres yeux la production qui a été précédée d’un scandale autour de la chanteuse russe Anna Netrebko, je vous en ai déjà parlé.
Je suis heureuse d’avoir surmonté la paresse et que mes craintes n’aient pas été confirmées. Non, je ne me faisais pas de soucis pour les cotés musical et vocal de cette production, mais plutôt pour la scénographie et la vision du metteur-en-scène. L’opéra traverse aujourd’hui une phase quand les plus solides « duos » de compositeurs et auteurs d’œuvres littéraires à base de librettos ont du mal à résister à la fantaisie (phantasmes ?) des metteurs-en-scène, la fantaisie que je trouve parfois privée de sens commun et de bon gout. Je vais donc laisser de côté la musique de Verdi qui est hors concours et ne nécessite pas mes éloges – chaque air, chaque ensemble, chacun des magnifiques chœurs provoquent des frissons, l’extase et des larmes, comme il se doit.
Je vais me concentrer sur ce qui se passe sur scène, pourvue des expériences négatives de « Eugène Onéguine » et « Boris Godunov » revisités per Barrie Kosky à l’Opernhaus Zürich ces dernières années.
Je ne crois pas avoir baissé mes défenses uniquement parce que les Écossais et les Norvégiens placés par William Shakespeare dans le contexte du 11è siècle me sont moins proches et moins chers. Peu importe la raison, j’applaudis cette version de « Macbeth » de tout cœur. Bien que pas au premier coup d’œil.
… Le rideau s’est ouvert pendant l’Ouverture magistrale et a révélé, sur la scène non encombrée par un décor, Macbeth prosterné, couvert par quelque chose ressemblant à des chiffons noirs (le baryton roumain Georges Petean est excellent dans ce rôle). Derrière lui, sous une espèce de lustre-couvercle, un groupe de gens nus, avec des organes sexuels « confondus ». Horrifiée et anticipant la suite, j’ai regardé une amie à côté de moi : « Et voilà, ça commence ! » Mais les chiffons se sont avérés être des plumes noires de corbeaux, dont le symbolisme est évident. Quant aux personnes nues, - pour ceux ayant regardé récemment le « Babi Yar », j’ai d’abord cru à une allusion macabre aux Juifs emmenés dans une chambre à gaz – leur présence étant justifiée par Shakespeare lui-même. De retour à la maison, j’ai pris le texte original sur mon étagère, ainsi que sa traduction en russe, brillante, par Boris Pasternak, et j’ai trouvé ces paroles de Banco étonné :
What are these So wither'd and so wild in their attire, That look not like the inhabitants o' the earth, And yet are on't? Live you? or are you aught That man may question? You seem to understand me, By each at once her chappy finger laying Upon her skinny lips: you should be women, And yet your beards forbid me to interpret That you are so.
Mais bien sûr, ce sont des sorcières, des sorcières qui comme des Parques dans les tragédies grecques, annoncent les horreurs à suivre, en promettant à Macbeth la couronne écossaise ! Sauf que Barri Kosky a remplacé les barbes par d’autres « attributs » masculins qui souvent se substituent aux cerveaux de certains hommes. D’ailleurs, après quelques minutes je ne les remarquai s plus, « camouflés » par un éclairage subtil.
Si seulement Macbeth les avait ignorées, ces sorcières, si seulement il avait remis à sa place sa « lady » - pas moins effrayante en ancienne Ecosse que dans la ville de Mtsensk, plus proche de nous grâce aux génies de Nikolaï Leskov et Dmitri Shostakovich. Mais rares sont les hommes dont l’orgueil résiste à une femme manipulatrice qui sait parfaitement où appuyer pour atteindre son but – l’endroit est toujours le même, bien banal. (La soprano russe Veronika Dzhioeva est d’ailleurs merveilleuse dans le rôle de Lady Macbeth !)
Si seulement il écoutait le courageux Banco (magnifiquement interprété par le basse ukrainien Vitaly Kovalev qui j’ai déjà admiré dans les rôles de Général Grèmin et Pimen sur la scène genevoise) ! Car Banco lui dit on ne peut pas plus clairement :
The instruments of darkness tell us truths, Win us with honest trifles, to betray's In deepest consequence.
Mais Macbeth est sourd à la voix de la raison. Et ainsi il se met sur le chemin du pouvoir, un chemin pavé par les trahisons et arrosé du sang, accompagné par la foule, toujours avide des spectacles gratuits. Une fois ce chemin emprunté, l’homme ne peut plus s’arrêter : chaque crime dont il s’en tire sans châtiment le pousse vers le suivant, en ignorant la mort et le malheur qu’il emmène avec lui. Le cataplasme saisi la gorge quand on entend le chœur, qui, au nom de ceux qui ont perdu leurs maris et leurs enfants, appelle aux cieux en réclamant la vengeance… Comment est-ce possible que malgré tous les exemples historiques que nous connaissons, on trouve toujours ceux qui embarquent sur ce chemin sans issue ?!
La scénographie minimaliste à l’extrême de l’allemand Klaus Grünberg – un tunnel noir sans fin éclairé par des petits lumières blanches – ne nécessite aucun effet supplémentaire. Elle ne fait qu’accentuer la puissance de la musique et du texte, les plaçant au premier plan. Et annonçant dès le début le final bien connu : la fin solitaire et sans gloire d’un tyran obsédé par le pouvoir qui a perdu la raison, dont aucune lumière n’attend au bout du tunnel noir et dont la mort ne sera pas déplorée, même par la foule… Cela peut paraitre étonnant mais dans les scènes finales du spectacle de Macbeth, qui, en l’absence d’autres interlocuteurs essaye de converser avec des corbeaux, m’avait rappelé le Dictateur immortalisé par Charlie Chaplin – cette scène où il tourne le globe sur le doigt, fou à lier.
Y-a-t-il une lumière d’espoir pour nous les spectateurs ? Peut-on le soupçonner dans le T-shirt blanc (le drap mortuaire ?) de Macbeth, couvert des plumes noires comme des cendres ? Ou dans le fait qu’à la fin du spectacle, Veronika Dzhioeva et Vitaly Kovalev se tiennent par la main, ovationnées par le public ? Oh, que j’aimerais y croire ! Quant au « deepest consequence », nous allons encore en déguster.
What's more to do, Which would be planted newly with the time, As calling home our exiled friends abroad That fled the snares of watchful tyranny; Producing forth the cruel ministers Of this dead butcher and his fiend-like queen, Who, as 'tis thought, by self and violent hands Took off her life; this, and what needful else That calls upon us, by the grace of Grace< >



Certains dénoncent aujourd’hui de la décision du Conseil fédéral de se joindre aux paquets de sanctions édictés par l’Union européenne contre la Russie. Je me permets de supposer que cette décision – bien qu’exceptionnelle – ait été prise pas seulement sous la pression hors norme de ses partenaires européens et américains mais aussi en souvenir de son comportement pendant la Deuxième guerre mondiale, comportement qu’on lui rappelle régulièrement aujourd’hui encore. Oui, M. Poutine doit être arrêté d’urgence. Oui, les sanctions sont nécessaires. Mais pas « en vrac ». A mon avis, avant d’appliquer chacune des sanctions prévues il faut se poser la question de savoir si cette action concrète sera contre M. Poutine ou le contraire ? Personne ne pleure sur la saisie des yachts des oligarques qui figurent sur la liste des personnes sanctionnées. Les Russes vont survivre sans le fromage et les montres suisses et les iPhones américains. Mais quand IKEA ferme ses usines en laissant 15 000 personnes sans travail, c’est autre chose, car les gens appauvries et affamés, les gens qui, dans les mots de Carl Marx, n'ont rien à perdre que leurs chaînes, sont facilement manipulables et leur rage risque de se tourner contre ceux qui annoncent ces mesures et pas celui qui les a provoquées.
La Suisse a-t-elle l’intention de passer de la guerre économique à la guerre physique ? Sinon, comment expliquer la publication hier, dans La Tribune de Genève, de la « liste des réserves de crise à stocker chez soi » - dans la partie payante du contenu d’ailleurs…

Mais aujourd’hui ce n’est pas de l’économie dont je veux vous parler mais de la culture, mon domaine préféré, inséparable – hélas ! – de la politique. Je vous ai parlé dans mon article précèdent du courage de l’intelligentsia russe qui se mobilise, d’une manière non-violente, contre cette guerre absurde. Ils sont des milliers, et de nouvelles signatures s’ajoutent tous les jours. Leur courage est proportionné aux mesures de plus en plus draconiennes introduites par le gouvernement russe contre ses concitoyens – la punition pour la diffusion de l’information sur l’offensive de l’armée russe peut être considérée comme « fake » et va jusqu’au 15 ans de réclusion. Je ne pense pas que beaucoup de Suisses de souche peuvent pleinement comprendre ce que c’est que d’être emprisonné pendant 15 ans pour ses opinions. Dans le pays de la démocratie directe on demande notre avis sur tout, même sur des questions où la plupart ne comprend rien. M. Poutine, avant de déclencher la guerre, n’a demandé l’avis de personne.
Les événements de ces derniers jours ont introduit des changements dans l’agenda culturel suisse et cela me pose un problème. Il existe un proverbe russe qui dit « Quand on fend du bois, les éclats volent. » La même chose que « on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs ». Parlons donc de ces éclats et de ces œufs.
Le festival de musique de chambre russe « Zaubersee » à Lucerne, soutenu depuis plusieurs années par le milliardaire russe installé à Zoug Victor Vekselberg, est annulé. Pourtant M. Vekselberg ne figure pas dans la liste des personnes sanctionnées. Le Verbier Festival, comme indiqué dans son communiqué, a « demandé et accepté la démission de Valery Gergiev en tant que directeur musical du Verbier Festival Orchestra », s’est engagé à restituer « les dons et mécénats apportés par des personnalités ou des structures sanctionnées par les gouvernements occidentaux » (à commencer par la Fondation de la famille Timtchenko donc le nom a disparu du site internet) et à déprogrammer « des artistes alignés publiquement sur les positions du gouvernement russe ». J’attends de voir la liste de ces artistes. En 2015, maestro Gergiev a évité de répondre clairement à ma question, sous quel chapeau, pour ainsi dire, il souhaitera rester dans l’histoire – celui du grand musicien, du grand entrepreneur ou du grand ami de M. Poutine. Mais le directeur du Verbier Festival, en l’invitant en 2018 à en devenir le directeur musical, ignorait-il ses affiliations professionnelles et personnelles ? J’en ai parlé à ce moment-là dans mon journal.
Le consul général honoraire de Russie à Lausanne, M. Frederik Paulsen, a pris la décision de fermer le Consulat général honoraire du fait des circonstances extraordinaires et dramatiques hors de notre contrôle qui se déroulent en Ukraine" jusqu’à nouvel avis. J'ignore si ses "circonstances" ont affecté le fonctionnement de son entreprise Ferring en Russie.Migros-Pour-cent-culturel-Classics a annulé la tournée de l’Orchestre national Russe qui devait jouer sous la baguette de Mikhaïl Pletnev, résident suisse de longue date, avec le pianiste français Lucas Debarque comme soliste.

L’Opéra de Zurich a annoncé qu’Anna Netrebko ne paraîtra pas dans « Macbeth » le 26 et 29 mars, et ceci après que, à la demande du théâtre, elle ait « expressément condamné la guerre en Ukraine et a exprimé ses condoléances aux habitants de la région déchirée par la guerre ». « Nous évaluons positivement cette déclaration de l'artiste et notons qu'elle n'a pas pu se distancer de Vladimir Poutine au-delà de cela. En principe, nous ne jugeons pas approprié de juger les décisions et les actions des citoyens des régimes répressifs du point de vue d'une démocratie d'Europe occidentale, - puis-je lire dans le communiqué de presse. - Dans le même temps, nous devons réaliser que notre ferme condamnation de Vladimir Poutine et de ses actions d'une part et la position publique d'Anna Netrebko à leur sujet d'autre part sont incompatibles ». Peut-être mon français n’est pas assez bon pour comprendre les subtilités de ces propos ? La grande soprano russe sera remplacée par sa collègue et compatriote Veronika Dzhioeva. Selon les informations à ma disposition, ni la merveilleuse Veronika Dzhioeva, ni le merveilleux Ildar Abdrazakov, qui chantera Barque à la première le 9 mars prochain, n’ont reçu de demandes de se positionner de la part de la direction du théâtre. Remarquons, qu’à partir du 18 mars le rôle de Barque sera interprété par Vitalij Kovalev. J’ai déjà eu la chance d’admirer cette basse native de Cherkasy en Ukraine dans les productions de « Eugène Oneguine » et « Boris Godunov » à Genève, il est excellent.
Je suis certainement mauvaise diplomate mais je déteste l’hypocrisie. Évidemment, tout le monde sait que Valery Gergiev est proche de M. Poutine. Mais cette fois il ne s’est pas exprimé. Pourquoi, c’est une autre question. contrairement à Marie-Hélène Miauton qui a spéculé à ce sujet dans Le Temps de vendredi dernier, je n’ai aucune idée de ce qui se passe dans sa tête. Son silence est-il regrettable ? certainement. Est-il signe de l’évolution de sa position ? peut-être. Mais est-il criminel ? Vous me connaissez et devez bien savoir que, personnellement, je crois que chaque personne qui a l’oreille du public doit dénoncer la guerre. Mais un état qui se veut un état de droit, peut-il exiger des prises de position et punir pour manque d’héroïsme ? Est-il légitime d’exiger l’héroïsme ? je vous le demande en assumant pour quelques minutes le rôle de l’avocat du diable. Et surtout de discriminer ceux qui ont manifesté leur refus de la guerre, car Anna Netrebko n’est pas la seule à être montrée du doigt. Les gens évoluent, vous savez, leurs avis changent, il faut les encourager sur ce chemin. Dans les situations de crise chacun reste tête à tête avec sa conscience et agit selon ses consigne. Puis le Temps choisit les noms qu'il garde dans l'Histoire et les connotations qu'il les attribut.

En 1932, le célèbre écrivain russe Maxime Gorki a posé la question que je cite dans le titre de ce texte. Et a reçu la question de Staline : « Qui n’est pas avec nous est contre nous ». Sommes-nous amenés à revivre ce genre d’échange aujourd’hui ?
La situation est extrêmement compliquée, mais qui se marie à la hâte, se repent à loisir, dit un proverbe français. Et j’aimerai citer Fazil Iskander, un excellent auteur russophone d’origine abkhaze, qui a écrit : « Un être humain doit rester intègre, ceci est faisable dans toutes les circonstances, sous tous les régimes. L’intégrité ne présume pas l’héroïsme, elle présume la non-participation à la bassesse ».
Je salue le recteur de l’Université de Genève qui s’est adressé à l’ensemble des étudiants et collaborateurs pour dire que « Face à l’ampleur de cette crise, il est essentiel de défendre la liberté académique et la liberté d'expression, de préserver les collaborations au sein de la communauté universitaire internationale qui partage des valeurs identiques et peut être porteuse de paix sur la scène mondiale » et pour souligner que « L’institution se tient à la disposition des étudiant-es et collaborateurs/trices de nationalité ukrainienne, biélorusse ou russe actuellement en Suisse, et qui seraient confronté-es à des difficultés administratives du fait de la situation internationale. »
Je salue la droiture des Éditions Noir sur Blanc à Lausanne pour le message que vous voyez ci-dessous.

Je salue les opéras de Genève et Zurich qui dressent leurs façades aux couleurs ukrainiennes, ainsi que le concert avec la participation d’artistes ukrainiens, russes et suisses organisé par l’Opernhaus Zurich dont la collecte ira à la Croix Rouge Suisse pour l’aide humanitaire en Ukraine.
Mais je salue également l’Orchestre de la Suisse Romande qui va jouer, le 9 mars, la musique de Rakhmaninov et Prokofiev. Je me réjouis des concerts à Bâle et à Zurich du pianiste Evgeny Kissine, né à Moscou, qui a pris une position remarquable contre cette guerre et son collègue d’origine hongroise Andras Schiff, qui a connu l’Holocauste. Je me réjouis d’écouter le Concerto pour violon N° 1 de Chostakovitch interprété par Maxime Vengerov au BFM.
Nous ne choisissons pas plus notre pays d’origine que notre couleur de peau. Discriminer quelqu’un pour ce qu’il est et non pour ce qu’il fait est un mauvais choix. La chasse aux sorcières est un mauvais choix. Aliéner les russes « en vrac », surtout les Russes de l’étranger, est un mauvais choix car cela peut provoquer la perte de confiance en les valeurs proclamées par ce qu’on nomme l’Ouest. J’appelle à la sagesse des Suisses à ne pas commettre une telle erreur.
Hier, Le Matin a relayé que des personnes d’origine russes résidant en Suisse ne se sentent plus bien dans leur peau depuis le début de la guerre en Ukraine. SonntagsBlick a relayé qu’un médecin du groupe Hirslanden a refusé de traiter un patient Russe, suivi depuis cinq ans. Le médecin n’a pas été licencié. Pour les journalistes zurichois, la manière dont le groupe Hirslanden, qui avait un service spécial pour attirer les riches Russes, exprime sa solidarité avec l’Ukraine est «plus que douteuse». Je partage cet avis.
Comme M. Kissine, je souhaite que les responsables de cette guerre atroce soient jugés. Comme vous tous, j’attends que les Russes se révoltent par millions et pas seulement par milliers, c’est leur seule chance de survie en dignité. Encore aujourd’hui on me rappelle dans mon entourage que qui ne dit mot consent. Je suis une citoyenne suisse depuis vingt ans et très fière de l’être. Ces derniers jours on me demande de plus en plus souvent si j’ai peur d’être une Russe en Suisse. Non, je n’ai pas peur. Et j’aimerai que le gouvernement suisse fasse le nécessaire pour que chacun de mes compatriotes, binationaux ou non, qui vivent en Suisse n’aient pas peur non plus.
Tous les jours du 7 à 11 mars, du 19 à 20 h, vous verrez, en face du palais Wilson à Genève les Russes qui manifestent contre la guerre et pour la dignité.
Je ne sais pas combien de temps encore mon journal va survivre. Mais je remercie toutes celles et tous ceux qui m’offrent leur soutien en ce moment extrêmement difficile.
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