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L’accent russe | Le blog de Nadia Sikorsky

30.01.2021
Le plan de Londres en 1946 ressemble effectivement à un géant araignée (c) Francis Frith
Arrivée à certain âge, il est rare de faire des découvertes positives mais alors combien sont-elles plus agréables ! Parmi les dernières du genre, citons le roman de l’écrivain serbe Miloš Tsernianski, réédité par Les Éditions Noir sur Blanc, à Lausanne, presque trente ans après la première parution en français, due au feu Vladimir Dimitrijevic, dans la traduction de Vladimir Popović ? Combattant durant la Première guerre mondiale et diplomate à Berlin et à Rome au début de la Seconde guerre, Miloš Tsernianski s’est exilé à Londres pendant plus de vingt ans. Il détesta cette ville ! « J’ai écrit ce roman à Finchley, dans la banlieue de Londres, en 1946-1947. A une époque où ma femme et moi étions très proches du suicide », peut-on lire dans son journal intime. Aujourd’hui, à Belgrade, un monument est dédié à Miloš Tsernianski et on décerne dorénavant un prix littéraire portant son nom. Le roman est donc en grande partie autobiographique ce qui le rend particulièrement véridique et poignant dans chaque détail. Intemporel aussi car ces thèmes majeurs sont toujours d’actualité : émigration/immigration ; l’unité slave (si souvent remise en question depuis lors) ; l’amour et la fidélité vs. mariages et les amitiés de raison ; la préservation de la dignité humaine en toutes circonstances et à tout prix; l’amour pour la Patrie en général et pour la Russie en particulier. Pourquoi pour la Russie ? car les personnages principaux sont Russes et leur histoire est bien triste et sans happy end. Les prénoms de ces personnages sont remplis de symboles. Elle, c’est Nadia – le diminutif du prénom Nadezhda signifiant l’espoir, et tout son poids d’attentes qui l’accompagne. (Et je sais de quoi de parle !) Elle a 42 ans, cette princesse de naissance mariée depuis 26 ans au prince Nikolaï Repnine, de 10 ans son aîné et au curieux nom qui nous recèle un « mix » de Répine, comme le grand peintre russe, et Pnin, comme le personnage du roman de Vladimir Nabokov, ce vieux professeur russe qui, émigré aux États-Unis, essaie de s’intégrer dans la vie locale. Pnin y réussit mieux que Repnine dont le Londres d’après-guerre semble repousser toutes les tentatives. Nous sentons plusieurs influences dans ce texte en serbe, rempli d’emprunts très vivants du russe, de l’anglais et du français. L’influence de Shakespeare, par exemple, avec sa vision du monde comme un théâtre où chacun a son rôle à jouer. De Nabokov, par le multilinguisme, l’anglophilie et le snobisme du prince Repnine :  on imagine tout à fait, dans un roman de Nabokov, le prince prononçant ce genre de phrase : « On ne quitte pas une femme au seuil de la vieillesse. Ce n’est pas bien ». Beau et simple, n’est-ce pas ? Il y aussi du John Galsworthy avec sa saga anglaise, et du Léon Tolstoï qui croyait, lui aussi, qu’on peut tout savoir sur l’humanité en étudiant une seule famille – il suffit qu’elle soit malheureuse. Comme échapper à Dostoïevski dans un roman russe, avec ses recherches sur soi-même et sur sens de la vie ? Et même à Kafka, car la course sur place du prince Repnine est comparable à celle du héros du « Procès ».  Les 800 et quelques pages du roman nous racontent les épreuves de ce couple qui s’aime et qui essaie de se sauver. Ils sont pauvres, très pauvres, nourris parfois que des seuls souvenirs de leur jeunesse insouciante passée à Saint-Pétersbourg. Repnine agonise en se tenant responsable du destin malheureux de sa femme qu’il imagine finir ses jours en SDF dans les rues de Londres. Il fait son possible pour la convaincre de partir en Amérique, chez sa tante. De son côté, Nadia pense que, débarrassé d’elle il serait plus libre dans ses actions. La galanterie de l’un valant bien la gentillesse de l’autre. Il est frappant de constater à quel point les choses ont, globalement, peu changé !  En 1947 Les Londoniens avaient peur des Polonais (et Repnine passe souvent pour un polonais) qui étaient là « pour manger le pain des anglais ». Tout comme les Français avec leur « plombier polonais », en 2005 ! Les magazines de luxe préservent, eux aussi, leurs sujets préférés : l’argent et le sexe, la vie glamour de l’élite qui cache bien ses squelettes dans des placards. Tous ceux qui ont dû recommencer à zéro dans un pays étranger comprennent l’état d’esprit du prince Repnine, ce sentiment d’injustice, de lassitude, de désespoir… Nombreux sont ceux qui connaissent ce choix terrible entre l’acception du verdict de surqualification ou du travail dénigrant et mal payé. Repnine, le beau et noble officier, fait le deuxième choix, pour Nadia. Il est prêt a tout, sauf une chose – l’humiliation. Et cela aussi, je peux comprendre. C’est cette universalité du sujet et la compassion sans équivoque de l’auteur pour ses personnages qui place ce livre dans la liste des grandes œuvres de la littérature mondiale qui aide à mieux comprendre ces gens bizarres que nous sommes, nous les Russes… Bonne lecture ! PS Ceux qui lisent en russe trouveront mon texte plus détaillé ici. Je remercie vivement Mme Marina Troyanov pour la relecture de mes textes en français. 
18.01.2021
Ce sont-là les paroles du chant Sviachtchennaïa Voïna, ou « Guerre sacrée », l'un des plus célèbres chants de la Grande Guerre patriotique (1941-1945) en Union soviétique. Écrites par le poète Vassili Lebedev-Koumatch, ces paroles ont été publiées le 24 juin 1941 par les journaux Krasnaïa Zvezda et Izvestia, soit à peine deux jours après l'attaque allemande. Le lendemain, le 25 juin, Alexandre Alexandrov, fondateur des célèbres Chœurs de l'Armée rouge (qui porte son nom depuis 1946) et auteur de l'Hymne de l'Union soviétique, en composa la musique. Le temps manquait pour imprimer les textes et les partitions, les chanteurs et les musiciens devaient les copier dans leurs cahiers. Le chant retentit pour la première fois le 26 juin 1941 à la gare ferroviaire de Belorousskaïa, à Moscou, exécuté par une partie des Chœurs de l'Armée rouge pour encourager les soldats qui attendaient leur départ pour le front. Selon les témoignages, son succès a été tel qu’il a fallu le répéter cinq fois. Difficile d’imaginer un chant plus patriotique ! Pourtant la radio, source principale de l’information à l’époque, ne l’a pas diffusé avant le 15 octobre 1941, car les autorités estimaient que les paroles étaient trop tristes et tragiques : au lieu de promettre la victoire rapide avec des pertes minimales, elles préparaient les troupes pour une bataille longue et sanglante. Mais à partir de cette date, alors que l’armée allemande avait bien avancé sur le territoire russe, Sviachtchennaïa Voïna fut diffusé par Radio Moscou tous les matins, juste après le carillon du Kremlin. Très rapidement, le chant est devenu populaire dans le sens littéraire du mot et a contribué à remonter le moral des troupes. Chanté sur tous les fronts du pays, sur le champ de bataille, dans les tranchées, sur les terrains d'aviation, dans les hôpitaux…Aujourd’hui encore, tous ceux qui ont vécu dans la période soviétique le connaissent par cœur. La situation que nous vivons aujourd’hui n’est, évidemment, pas la même bien qu’elle a un petit goût de guerre. A l’époque l’ennemi était évident, visible et « tangible », ce n’est pas le cas du méchant virus. Et pourtant ! Il est bien connu que c’est en temps de crise que la culture, faussement considérée comme « la force douce » seulement, devient la plus efficace, car c’est en temps de crise qu’on ressent un besoin plus grand de s’accrocher à quelque chose qui nous tire vers le haut, qui nous aide à surmonter le quotidien. La Suisse a été épargnée par la guerre, et c’est en partie ce manque   d’expérience qui expliquerait l’attitude si réservée du gouvernement face à la culture, l’incapacité de l’utiliser pour la bonne cause. Pourtant où pourrait-on mieux et si facilement garder ses distances et respecter toutes les autres mesures sanitaires que dans les théâtres, salles de concerts, dans les cinémas, et mieux encore dans les bibliothèques et les musées ? Par contre l’absence d’une culture vive et vivante contribue à la démoralisation générale de la population et à la montée d’une colère qui ne se manifeste pas toujours de noble façon à en juger par les commentaires de certains des lecteurs de Nasha Gazeta et pas seulement. Il n’est donné à personne de choisir le temps dans lequel on vit. Nous vivons donc aujourd’hui, dans le temps qui nous est donné, et je vous propose de vivre pleinement, en vous appuyant sur la culture et en la soutenant. Le chant Sviachtchennaïa Voïna est donc apparu deux jours seulement après la guerre. Nous allons bientôt « fêter » une année de la pandémie. A ma connaissance, cette période sinistre n’a produit ni chants qualifiables comme patriotiques, ni aucune autre œuvre capable de remonter le moral et rester dans le temps. Je vous invite donc à écouter le Sviachtchennaïa Voïna, interprété par les Chœurs de l’Armée rouge en 1942 – gare à la chair de poule ! https://www.youtube.com/watch?v=ZhRN6OLXR4c  
04.12.2020
 Les périodes historiques se succèdent, mais une chose reste inchangée – l’amour des Russes aisés pour les objets beaux, exclusifs et chers de la haute joaillerie et de la haute horlogerie. C’est la raison pour laquelle les belles pièces prévues à leur intention affluent dans les ventes aux enchères. Ces objets ont été créés à différentes époques et cherchent aujourd’hui de nouveaux propriétaires. Quelques-uns des lots qui seront présentés aux traditionnelles enchères « russes » de décembre, chez Piguet – Hôtel des Ventes Genève, l’illustrent parfaitement. C’est une des rares occasions pour les connaisseurs de compléter leur collection : chaque pièce a son histoire, et pour certaines il a même fallu mener une véritable enquête. Comme ceci.  « Les objets qui se retrouvent chez nous n’ont pas toujours été gardés au sein d’une même famille pendant plusieurs générations, nous raconte Bernard Piguet, le directeur et propriétaire de la maison de vente qui porte son nom. Il arrive que la procédure visant à établir l’authenticité d’une pièce et sa provenance prenne plusieurs mois et soit d’une complexité comparable à celle d’une procédure financière de due diligence. » C’est précisément le cas d’une boîte de prestige dont le couvercle figure deux griffons enchâssés dans des arabesques en or ajouré – posés sur le fond en émail rouge et blanc, ils gardent le monogramme de Nicolas II composé de diamants de plus de 9 carats en tout. Cette boîte, qui n’est pas destinée à un usage particulier mais qui est d’un raffinement merveilleux, fait tout de suite penser à certaines pièces de Fabergé, et plusieurs indices laissent supposer qu’il y a bien une « parenté ». Mais comment le prouver et, au préalable, distinguer l’original d’une imitation, pour déterminer la valeur de l’objet et en fixer le prix ? Manifestement, les arguments des experts londoniens de Sotheby’s, qui ont déjà mis en vente cette pièce pour 200 000 livres en 2018, n’ont pas suffi à son acquéreur de l’époque qui, pris d’un doute, a décidé de se rétracter. Cet incident n’a pas effrayé les spécialistes de l’équipe de Bernard Piguet, il les a au contraire incités à réaliser leur propre enquête, que l’on peut considérer comme un modèle du genre. Ils ont dû non seulement établir l’itinéraire précis qui a conduit la boîte de Russie, à l’époque prérévolutionnaire, jusqu’en Suisse, en 1966, mais aussi, comme dans les contes russes, résoudre trois énigmes : pourquoi Nicolas II a-t-il offert cette boîte à deux reprises, pourquoi le poinçon du maître Mikhaïl Perkhine apparaît-il en deux versions différentes et pourquoi n’y avait-il pas de numéro d’inventaire ? Pour jouer le rôle de Sherlock Holmes, on a fait appel à la compatriote du grand détective Christina Robinson, qui s’occupe des objets russes chez Piguet. En ce qui concerne la « question n° 1 », tout était relativement élémentaire : le poinçon personnel du grand joaillier russe Mikhaïl Perkhine, qui a travaillé aux côtés de Carl Fabergé, authentifie la provenance de la boîte. Seulement, elle n’a pas été envoyée au magasin de la maison Fabergé, mais au cabinet de Sa Majesté Impériale, autrement dit dans le « fonds de cadeaux » du tsar. « Le tsar ne versait pas d’argent à ses sujets, raconte Christina Robinson à Nasha Gazeta. La tradition voulait que l’on récompense les militaires ou les fonctionnaires qui s’étaient distingués en leur offrant des cadeaux précieux, comme ce type de boîte, sachant que ces cadeaux pouvaient être échangés contre des espèces sonnantes et trébuchantes ou démontés pour en vendre un diamant ou deux selon les besoins financiers du récipiendaire. » Bien entendu, on a du mal à croire aujourd’hui que quelqu’un aurait accepté de se séparer du cadeau du tsar, car ce serait d’une part enfreindre le principe selon lequel « à cheval donné on ne regarde pas la bride », et d’autre part laisser échapper un objet d’une rare beauté. C’est pourtant ce qu’a fait le premier bénéficiaire de la boîte en 1897, le général Fiodor Alexandrovitch von Feldmann, directeur du lycée impérial Alexandre, tuteur honoraire du Conseil tutorial des établissements de l’impératrice Marie, en la restituant à l’« entrepôt » du tsar contre 1 760 roubles, une somme fabuleuse à cette époque. La boîte n’est pas restée longtemps à l’entrepôt – deux ans plus tard, elle a été envoyée en cadeau au conseiller de l’empereur Guillaume II, Maximilian von Lyncker, pour sa contribution au succès de la rencontre entre les empereurs russe et allemand le 8 novembre 1899. On sait également que Nicolas II avait décidé de dissiper ainsi un malentendu entre les épouses des autocrates : sans raison apparente, l’impératrice Augusta n’avait pas accompagné Alexandra Fiodorovna à la gare de Potsdam, mais avait pris congé d’elle au palais, ce qui avait donné lieu à des ragots. L’incident qui couvait fut clos grâce au précieux cadeau offert à un proche du Kaiser – c’est ainsi que la boîte de Saint-Pétersbourg s’est retrouvée en Europe. Von Lyncker est mort en 1923, laissant quatre filles. Passé un certain temps, le banquier et fortuné collectionneur français François Dupré a fait l’acquisition de la boîte. Il est mort en 1966 laissant cette boîte dans le coffre d’une banque suisse, où elle a été conservée jusqu’au décès de Mme Dupré en 1977. Puis elle est restée dans la même famille jusqu’à ce jour. Pour expliquer la présence des trois poinçons de Mikhaïl Perkhine apposés à des périodes différentes, Christina Robinson a dû s’adresser au Dr Ulla Tillander-Godenhielm, une dame d’une grande rigueur scientifique et morale, dont l’autorité en matière de bijoux historiques russes est indiscutée. Comme toute chose géniale, cette énigme avait une solution simple. Dans les ateliers de Fabergé, il était d’usage de marquer toutes les composantes des objets produits. Or, lors de la production de cette boîte, Mikhaïl Perkhine a modifié son poinçon. Voilà pourquoi on voit son ancien poinçon sur le bord intérieur de la base, créée dans les ateliers, et le nouveau – sur le fond et sur le couvercle, créé par le maître lui-même. La souplesse de la charnière et l’impeccabilité des parois cannelées de la boîte témoignent à leur tour de l’extrême virtuosité des joailliers, ce qui était rare même au cours de ce « siècle d’or ». La troisième énigme a elle aussi été élucidée. Si l’objet ne présente pas de numéro d’inventaire de Fabergé, c’est que les pièces destinées au cabinet impérial et non à la vente en magasin n’étaient pas numérotées : les services impériaux avaient leur propre système de référence dans leurs livres de comptes qui ont été retrouvés par le Dr Tillander-Godenhielm. « Ces quelques “imperfections” ne font que prouver, à mes yeux, l’authenticité de la boîte, car un imitateur aurait certainement essayé de les éviter », nous confie Christina Robinson. Quel sera le destin de la boîte et quelles aventures l’attendent encore ? Nous en saurons plus après les enchères de la maison Piguet qui auront lieu du 8 au 10 décembre. Mais l’exposition est déjà ouverte au public. www.piguet.com    
22.11.2020
Pedro Kranz dans son bureau à l'agence Caecilia. 2015 (c) N. Sikorsky)
« Il y a des gens irremplaçables. Mais surtout il n’est plus là celui vers qui je pouvais toujours me tourner pour trouver conseil et soutien », - telle a été la réaction spontanée de Galina Logutenko, directrice adjointe de la Philharmonie de Saint-Pétersbourg, à qui j’ai annoncé la triste nouvelle. « Je l’aimais beaucoup et je suis très triste », a réagi le pianiste Evgeny Kissin, qui collaborait depuis vingt ans avec Pedro Kranz. « Mes condoléances à nous tous », m’écrit un autre pianiste russe, Nikolaï Lugansky. La même chose du côté de la Suisse. « Pedro était un collègue respecté et respectueux. J’ai pu l’apprécier dès notre première rencontre à Bilbao il y a une soixantaine d'années, - se souvient maestro Charles Dutoit. - Récemment, nous avons eu le plaisir de partager quelques bonnes soirées ensemble et pu profiter de sa convivialité, de sa gentillesse et de son sourire communicatif. Sa disparition aussi soudaine a été un choc douloureux. Je conserve de lui et de sa merveilleuse épouse Vicky un souvenir ému ».
Charles Dutoit, Steve Roger, Martha Argerich, Pedro Kranz. Victoria-Hall, Genève, 2014 (Archive de Charles Dutoit)
« Pedro Kranz était plus qu’un ami. J’ai beaucoup appris de lui et j’avais encore tant à apprendre... Je garderai le souvenir d’un homme d’une immense culture en général et en musique en particulier. A 82 ans il avait encore l’envie et l’enthousiasme des débuts, toujours prêt pour de nouvelles aventures. Je suis fier d’avoir été son associé et d’avoir fait un bout de chemin avec lui et je souhaite à chaque artiste d’avoir un jour la chance de travailler avec quelqu’un qui lui ressemble... bien qu’il soit unique », a partagé Steve Roger, Directeur général 
de l’Orchestre de la Suisse Romande. « J'avais 22 ans, il y a de cela 33 ans maintenant. Étudiant à l'université, j'allais régulièrement au concert avec un ami.  Un soir, dans la grande salle du Conservatoire de musique de Genève, lors d’un concert de musique de chambre avec des œuvres de Borodine et Tchaikovski, je remarquais un très beau couple sur le rang devant moi. On sentait qu'ils s'aimaient beaucoup et que la musique était leur passion, leur vie. J’appris plus tard qu’il s’agissait de Pedro et Vicky Kranz. Cette image ne m'a jamais quitté », m’a confié Philippe Borri, un collaborateur de longue date de l’Orchestre de la Suisse Romande. Si j’avais contacté plus de personnes pendant le week-end, j’aurais pu rassembler davantage de témoignages, mais ce n’est pas la quantité qui compte. Ce qui ressort d’évident c’est que Pedro Kranz était unanimement aimé !
Vicky et Pedro Kranz et maestro Yury Temirkanov. Victoria Hall, Genève, septembre 2017 (c) N. Sikorsky
Au long des années notre relation professionnelle s’est transformée en une tendre amitié. Je n’ai eu qu’une seule fois l’occasion de l’interviewer. C’était il y a cinq ans. Le centenaire de Sviatoslav Richter, passé inaperçu en Suisse, nous servit de prétexte. C’est à cette occasion que j’ai découvert certains détails de la vie si riche de Pedro, né Piotr, en Tchéquie, en 1938, et que j’ai entendu quelques anecdotes « des vies des artistes » - oh combien nombreux sont ceux qui ont bénéficié de ses services, de sa bienveillance durant les 55 ans de sa carrière. Kirill Kondrashin, Gennady Rozhdestvensky, Mstislav Rostropovich, David Oistrakh, Sviatoslav Richter, Leonid Kogan, Yuri Temirkanov, Evgeny Kissin, Grigory Sokolov – pour ne citer que des grands noms de la culture russe. Mon seul regret aujourd’hui c’est de ne pas en avoir enregistré davantage, de n’avoir pas réussi à le convaincre d’écrire un livre car matière il y avait. Pedro Kranz a été un des derniers mohicans d’une profession unique et en voie de disparition, une profession qu’on n’enseigne nulle part – celle d’impresario. Dans cette profession tout tient sur des matières qui sont fragiles et qui ne s’achètent pas : la confiance, la décence, la réputation. Selon les propres mots de Pedro Kranz, pour y réussir il est primordial d’aimer les musiciens et de les accepter tels qu’ils sont avec tous leurs nombreux caprices. L’image scénique diffère souvent de la personne réelle qu’on fréquente. Pedro Kranz aimait et acceptait ses musiciens, lesquels le lui rendaient bien tout comme le public. Les abonnements à la série « Les grands interprètes » proposée par l’agence Caecilia en témoignent bien puisqu’ils se vendaient en quelques jours seulement et confirmaient la règle : l’offre déterminant toujours la demande ! Pedro Kranz avait travaillé dans l’agence Caecilia dès 1964. Employé d’abord, puis associé et propriétaire enfin. Il se donnait à son métier avec passion mais cela ne l’empêchait pas d’être un businessman pragmatique. II savait qu’il n’était pas éternel, et l’avenir de l’agence le préoccupait. Il a trouvé un repreneur, le travail va continuer. Tout restera-t-il « comme avant ? » C’est le temps qui le dira.
Pedro Kranz et Nadia Sikorsky, Saint-Pétersbourg, décembre 2018
Mais, aujourd’hui, je suis triste car je sais que je ne le croiserai plus jamais au Victoria Hall, que nous ne prendrons plus jamais un café ensemble sur la terrasse de « Lyrique », que le nom « Pedro Kranz » n’apparaîtra plus jamais sur l’écran de mon téléphone portable et que je n’entendrai plus sa voix, toujours prête â blaguer, me héler : « Coucou, Nadia, comment ça va ? » Je suis athée mais je veux croire de tout mon cœur que, désormais, avec sa Vicky adorée qui l’a précédé de deux années, ils peuvent – là-bas, de l’autre côté – s’adonner à leur passetemps favori : écouter une musique céleste loin de tous les soucis du monde. Paix à son âme. Светлая память.  
16.11.2020
(c) Dominique de Rivaz
Selon le récent sondage réalisé par Sotomo pour le compte de la SSR, la deuxième vague de Covid-19 a déclenché dans la population un coup de blues bien plus important que la première. Les mesures restreignant la liberté de mouvement personnelle restent, globalement, notre principale préoccupation. La plupart d’entre nous avons manqué les vacances d’été, puis celles d’octobre et quant à la période de Noël et Nouvel-An rien n’est plus qu’incertain. Nous rêvons de voyages ! Il est peu probable que la ville de Kaliningrad soit une priorité sur la liste des destinations de rêve des Suisses – certains ont peut-être appris son existence grâce aux quatre matchs de la Coupe du monde de football qu’elle a accueilli en 2018. Qui sait ? Peut-être d’autres en rêveront après avoir découvert le nouveau livre, ou plutôt le nouvel album de photos et de textes que présentent les Éditions Noir sur Blanc. Kaliningrad donc, que Cédric Gras appelle très justement « une séquelle topographique de la Seconde Guerre mondiale » car sa nouvelle vie a commencé au moment où « la Prusse a perdu son « P ». L’épellation de son nom se ressemble peu dans diverses versions linguistiques : Калининград en russe, Königsberg en allemand, Królewiec en polonais, Karaliaučius en lituanien) Aujourd’hui c’est une ville russe située dans une enclave territoriale, totalement isolée du reste du territoire russe, entre la Pologne et la Lituanie. Son histoire est indissociable de l’histoire des guerres européennes, toutes les sources l’attestent unanimement. On apprend que Kaliningrad se trouve sur le site de l'ancienne Königsberg (nom allemand qui signifie littéralement mont du roi, en l'honneur du roi Ottokar II de Bohême ayant pris part aux croisades dans la région), fondée en istoireles Prussiens. La ville fit partie de la Ligue hanséatique en 1340. À la suite des défaites des Chevaliers teutoniques dans leur lutte contre la Pologne et après la chute du château de Marienburg en 1457, Königsberg devint la capitale de l'Ordre teutonique. Lorsque, en 1525, le dernier Grand-maître de l'ordre, Albert de Brandebourg-Ansbach, sécularisa celui-ci, c'est tout naturellement que Königsberg devint la capitale du nouveau duché de Prusse qu'il venait de créer après sa conversion au luthéranisme. Lorsque le duché fut érigé en royaume par Frédéric III de Brandebourg en 1701, Königsberg devint vice-capitale royale avec Berlin. Elle fait partie du royaume de Prusse, puis de l'Empire allemand en 1871. Après la Première Guerre mondiale et la défaite allemande, elle est intégrée à l'État libre de Prusse – jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. L'assaut de la ville par les troupes soviétiques, sous le commandement du maréchal Alexandre Vassilievski, commença le 6 avril et se termina le 9 avril 1945 par la capitulation de la garnison allemande. Königsberg fut renommée Kaliningrad le 4 juillet 1946, lorsque l'URSS reçut ce territoire en compensation des destructions et des pertes subies lors de la Seconde Guerre mondiale. La ville des rois s’est vue ainsi transformée en ville du président du Præsidium du Soviet suprême et membre du Comité central du Parti communiste, Mikhaïl Kalinine.
(c) Dmitri Leltschuk
C’est à la recherche des traces de ces deux empires, prussien et soviétique, que sont partis les deux photographes, une suissesse Dominique de Rivaz et un biélorusse Dmitri Leltschuk, un duo qui s’était formé lors de leur collaboration pour le livre « Hommes de sable de Choïna », paru en 2013 chez Noir sur Blanc. Toutes les photos de Dimitri sont en noir en blanc, ce qui leur confère un aspect « historique ». Toutes celles de Dominique sont en couleur, ce qui les rend plus humaines, plus proches de nous. Et parfois vice versa. Dans l’ensemble elles nous permettent d’explorer cette ville bourrée d’Histoire où, selon Dominique de Rivaz, le temps semble s’être arrêté mais où la population, qui approche un demi-million de personnes, bouillonne de vie. Néanmoins plusieurs questions demeurent sans réponses : par quel miracle un bas-relief ancien a-t-il survécu sur un immeuble moderne ? pourquoi les habitants ont-ils préféré donner à l’aéroport local le nom de l’impératrice Élisabeth plutôt que celui du philosophe Emmanuel Kant, qui est né et mort à Königsberg ? Que signifie un médaillon en argent où figurent, côte à côte, une étoile de David et une croix gammée ? Je crains que pour avoir des réponses il faille se rendre à Kaliningrad où le nouveau livre pourrait vous servir de guide. Alors bon voyage ! Et pour ceux qui lisent le russe, voici une interview de Dominique de Rivaz.        

A PROPOS DE CE BLOG

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’Ètat de Moscou. Après 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.

En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels – le Forum des 100.

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