«Latex», Laurent Schweizer publie au Seuil le roman d’un monde ultrariche,
ultrasexe, ultraviolent, un texte inspiré de l’affaire Stern.
Un richissime homme d'affaires est tué par une femme lors d'une séance
sadomasochiste. Le «pitch» du dernier roman de Laurent Schweizer rappellera aux
Genevois une certaine affaire Stern. A raison. Ce meurtre a bien enclenché chez
l'écrivain - dont le bureau était à quelques mètres des lieux du véritable
assassinat à l'époque des faits - un processus d'écriture. Mais s'arrêter là
serait une injustice.
L'esprit de Laurent Schweizer, comme les sucs, transforme ce qu'on lui
soumet. Philipp Kidman, dans Latex, n'est pas Édouard Stern. De
l'affaire, l'auteur n'a retenu que les traits définitoires, qu'il a tirés vers
les extrêmes: l'ultra richesse, l'ultrasexe, l'ultraviolence. La réalité, chez
lui, est malmenée. Il étire sa trame et ses personnages pour éprouver leur
résistance. On frôle parfois la saturation des effets, mais la logique
hyperbolique de l'écriture donne au texte une vraie valeur littéraire.
Latex s'ouvre à Londres. Deux crapauds géants, couverts
«d'aspérités vermeilles», appellent les caresses d'une foule de jet-setters lors
d'une vente d'art contemporain. Il se termine dans la trompeuse quiétude des
Alpes bernoises. Entre-deux, le roman se dépeuple à mesure que l'auteur
maltraite ses personnages. Ray lui-même, garde du corps devenu fou et qui aime à
tuer dans les supplices, périra par les balles des armes qu'il trafique.
Reste le narrateur, un avocat contraint de quitter le barreau zurichois, et
Seymour, call-girl propriété de la mafia russe et à laquelle il offre ce qui lui
reste de tendresse.
Précis et halluciné, ce roman est le troisième d'un écrivain genevois aux
visions fulgurantes.
David Haeberli