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La collection du « capitaliste personnel de Lénine » est présentée à Martigny

25.07.2025
© N. Sikorsky

La Fondation Pierre Gianadda expose une quarantaine de chefs-d'œuvre provenant du Musée Armand Hammer de Los Angeles. Certains d'entre eux ont traversés l'Atlantique pour la première fois. J’ose parier que le nom du collectionneur est mieux connu des Russes que des Suisses. 

« Le millionnaire idéal », « notre oncle américain », voire « le capitaliste personnel de Lénine » : autant d'épithètes dont, en URSS, fut affublé ce grand industriel américain qui se distingua par son amour – jugé étrange par beaucoup – pour ce pays qui alors occupait un sixième de la surface de la Terre, tout autant que par sa passion (tout à fait compréhensible) pour les œuvres d'art. En Russie, il est surtout connu le « Hammer Centre », nom informel donné à ce qui est aujourd'hui le Centre international du commerce à Moscou, officiellement inauguré en 1980 à l'occasion des Jeux olympiques. L'idée de créer un centre d'affaires à Moscou est née au début des années 1970, à l'initiative de la Chambre de commerce et de l'industrie de l'URSS… et d'Armand Hammer. Sa construction a été financée par des prêts accordés par les banques américaines EXIM Bank et Chase Manhattan Bank, ainsi que par le budget de l'État soviétique.

Hammer
Armand Hammer dans son bureau. Observez bien les photos derrières lui ; reconnaissez-vous Lénine et Brejnev ? Photo Global Look Press

Tout le monde connaît donc le « Hammer Centre » chez nous. On sait moins que le futur milliardaire naquit au sein d’un couple d'émigrants juifs de l'Empire russe, Julius et Rosa Hammer, que son père était issu d'une famille de constructeurs navals ruinés qui travaillaient au chantier naval de Nikolaïev et qu’il vivait à Odessa, d'où il devait émigrer aux États-Unis en 1875 pour s'installer dans le Bronx. Exerçant la médecine, il possédait cinq pharmacies. En 1915, il fonda une entreprise pharmaceutique familiale, la Allied Drug and Chemical Corporation, qui commercialisait des produits cosmétiques. Armand, né en 1898, était son second fils. S’il commença par affirmer que son père l'avait prénommé ainsi en l'honneur d'Armand Duval, un personnage du roman « La Dame aux camélias » d'Alexandre Dumas fils, il devait ensuite reconnaitre la version selon laquelle Julius Hammer, admirateur de l'idéologie communiste, avait souhaité voir refléter dans le nom de son fils le symbole du Parti socialiste américain (Socialist Labor Party of America) dont Julius était l'un des dirigeants ; à savoir le marteau et le fer (arm and hammer). Après la Révolution d'octobre en Russie, une partie des socialistes, menée par Julius, avait fait sécession pour créer le Parti communiste américain, dont Hammer père reçut la carte de membre n° 1. Après ça, difficile de ne pas croire au destin !
Rembrandt van Rijn. Junon, 1662-65. Collection Armand Hammer, don de la Fondation Armand Hammer. Hammer Museum, Los Angeles

Armand Hammer est diplômé de la Faculté de médecine de l'Université Columbia, où il a obtenu son doctorat en médecine en 1921. Il n'a cependant jamais exercé la médecine, bien qu'il se soit toujours présenté comme « docteur Hammer ». Pendant ses études universitaires, il a pris la tête de l'entreprise familiale et en est devenu, selon des sources ouvertes, le premier étudiant de l'histoire des États-Unis à gagner un million de dollars par son travail.

Sympathisant avec le socialisme, il entreprend de se rendre en Russie soviétique durant l'été 1921. Les biographes divergent quant à la raison de son voyage : certains pensent qu'il s'agissait uniquement d'affaires ; d'autres qu’Armand Hammer était en mission secrète afin d’établir des liens entre les communistes américains et les dirigeants soviétiques. Quoi qu'il en soit, le jeune entrepreneur américain de 23 ans est reçu au Kremlin par Lénine en personne. Dès ce moment commence à se tisser le mythe que Hammer entretint précieusement toute sa vie, de même la photo que lui avait offerte Vladimir Lénine, porteuse de cette inscription en anglais : « Au camarade Armand Hammer, de la part de V. Oulianov (Lénine). 20.XI.1921 ». Avec cette photo, il devient le premier homme d'affaires américain à obtenir une concession en Russie soviétique : un gisement d'amiante près d'Alapaïevsk, en Oural. De plus, dans un contexte de famine nationale, le Commissariat du peuple aux affaires extérieures et la « Allied Drug and Chemical Corporation » de Hammer signent un accord sur la livraison à la Russie soviétique d'un million de boisseaux de blé américain en échange de fourrures, d'œufs de caviar noir et de bijoux confisqués par les bolcheviks et conservés par l’état. On peut supposer que c'est à cette époque que son incroyable collection d'œuvres d'art commence à se constituer. « Armand Hammer vivait à Moscou dans un palais aux murs nus qu'il fallait remplir. Il a commencé par des meubles, des porcelaines et des objets Fabergé », a expliqué Cynthia Burlingham, directrice adjointe du Hammer Museum de Los Angeles, à un groupe de journalistes invités à Martigny, assurant qu'aucune des œuvres présentées à l'exposition n'avait été achetée en Russie. Admettons.
Van Gogh
Vincent Van Gogh. Le Semeur, vers 1888. Collection Armand Hammer, don de la Fondation Armand Hammer. Musée Hammer, Los Angeles

Lors de la présentation, rien n’a été dit sur le fait qu'en 1927, Hammer avait épousé l'actrice et chanteuse russe Olga Vadina, mère de son unique fils. Si l'on en croit Wikipédia, Olga est née en 1901 à Sébastopol au sein d’une famille d'officiers de l'armée impériale russe issue d’Allemands russifiés ; pour un quart grecque, un autre quart polonaise et moitié allemande, elle était de nationalité russe et de confession orthodoxe. Olga et Armand s’étaient rencontrés en 1925 à Yalta – une histoire d'amour de vacances qui rappelle le film génial de Jean Negulesco, Comment épouser un millionnaire, avec Marilyn Monroe au casting. Les services secrets américains, les services de renseignement britanniques et le directeur du FBI Edgar Hoover en personne considéraient Olga comme une agente de la Guépéou. Mais ils ne purent le prouver.

Au cours de ses années de collaboration avec l'URSS, cet Américain décidément entreprenant se livre à toutes sortes d'activités – de la première concession de crayons à la construction d'un géant de la chimie, l'usine d'azote de Togliatti (aujourd'hui « Togliattiazot »), et au pipeline d'ammoniac Togliatti-Odessa, principale infrastructure de transport de ce combinat. En parallèle, il collectionne des œuvres d'art, ce qui nous intéresse aujourd'hui le plus… même s'il est étonnant que personne n'ait encore tourné de thriller sur la vie d'Armand Hammer.
Gogen
Paul Gauguin. Bonjour, Monsieur Gauguin, 1889. Collection Armand Hammer, don de la Fondation Armand Hammer. Hammer Museum, Los Angeles

« Les frères Hammer ont joué le rôle d'intermédiaires entre le gouvernement soviétique et les marchands d'art et collectionneurs américains lors de la vente des trésors des musées de l'URSS. Après avoir quitté l'Union soviétique au début des années 1930, ils ont vendu les trésors de la dynastie des Romanov, des objets anciens, des peintures, des sculptures provenant de l'Ermitage de Leningrad, des œufs de Fabergé (authentiques et faux). Tout cela était livré par l'intermédiaire d'Amtorg», affirme la page Wikipédia russe consacrée à Armand Hammer. Sans entrer dans les détails juridiques et autres, rappelons simplement qu'Amtorg était une société par actions créée dans l'État de New York pour promouvoir le développement du commerce soviéto-américain dans les premières années d’existence de la Russie soviétique, et qu’elle servait d'intermédiaire dans les opérations d'import-export des associations soviétiques de commerce extérieur avec des entreprises américaines dès 1924 – soit donc neuf ans avant l'établissement des relations diplomatiques entre les États-Unis et l'Union soviétique –, ceci avant de cesser d'exister en 1998, sans aucune décision officielle ni décret du gouvernement de la Fédération de Russie à ce sujet. C'était une organisation intéressante ! Il convient d'ajouter qu'Armand Hammer, qui exportait activement des chefs-d'œuvre hors de l'URSS, faisait parfois des cadeaux : le seul tableau de Goya présent dans les musées russes, Portrait de l'actrice Antonia Sarate, a été offert par lui au Musée de l'Ermitage en 1972. En retour, et en guise de cadeau également, la ministre de la Culture de l'URSS de l’époque, Ekaterina Fourtseva, a ordonné de remettre à Hammer le tableau de Kazimir Malevitch intitulé Suprematisme dynamique n° 38, tout droit sorti des réserves de la galerie Tretiakov, à Moscou.
Sisley
Alfred Sisley. Scierie à Saint-Mammès, 1880. Collection Armand Hammer, don de la Fondation Armand Hammer. Hammer Museum, Los Angeles

Il est intéressant de noter que c'est précisément l'exposition des œuvres du peintre suprématiste russe d’origine polonaise Kazimir Malevitch, d’abord montée à la National Gallery of Art de Washington avant d'être transférée au Metropolitan Museum of Art de New York, qui devait inaugurer, le 28 novembre 1990 – douze jours donc avant la mort de Hammer – le musée qui porte son nom à Los Angeles. La magnifique collection du défunt président de la Occidental Petroleum Corporation, qui permet de retracer les principaux courants de l'art occidental de la Renaissance au début du XXe siècle, était estimée à l'époque à 250 millions de dollars et avait été rassemblée non seulement en URSS, bien sûr, mais aussi dans des galeries parisiennes et new-yorkaises – notamment chez Knodler, Georges Petit et Wildenstein – ainsi que dans de grandes maisons de vente aux enchères telles que Christie's, Parke-Bernet et Sotheby's.

L’histoire du musée de Los Angeles a commencé lorsque Hammer, membre du conseil d'administration du Los Angeles County Museum of Art pendant près de 20 ans, a renoncé à un accord facultatif visant à transférer ses tableaux au LACMA après des désaccords sur la manière dont sa collection serait exposée. Peu après, le 21 janvier 1988, jour anniversaire de la mort de Lénine (!), Hammer a annoncé son intention de construire son propre musée sur le site du garage Westwood, adjacent au siège de l'Occidental Petroleum. (Il est amusant de noter que le Centre de culture contemporaine « Garage » de Moscou, fondé par Daria Zhukova et l’oligarque Roman Abramovitch, était initialement situé dans le bâtiment classé monument architectural de l'avant-garde soviétique : l'ancien garage de bus Bakhmetiev, qui lui a donné son nom.) Le bâtiment du Hammer Museum, conçu par l'architecte new-yorkais Edward Larrabee Barnes, a été imaginé comme un palais Renaissance avec des galeries concentrées autour d'une cour intérieure calme et une apparence extérieure relativement austère.

Et voilà qu’aujourd'hui, près de quarante chefs-d'œuvre de ce palais californien sont exposés à Martigny, en Suisse, et permettent aux amateurs d'art locaux d'apprécier la diversité des goûts d'Armand Hammer autant que son infaillible sens des affaires.
Pissarro
Camille Pissarro. Boulevard Montmartre, Mardi gras, 1897. Collection Armand Hammer, don de la Fondation Armand Hammer. Hammer Museum, Los Angeles

Il ne fait aucun doute que le joyau de la collection, Junon de Rembrandt, peint entre 1662 et 1665, attirera le plus l'attention. Ce n'est un secret pour personne que l'artiste a utilisé comme modèle sa femme Saskia pour représenter la déesse romaine du mariage et de la maternité.

Tout visiteur de l'exposition aura certainement envie de faire un tour dans l'un des bateaux amarrés au quai dans le tableau d'Eugène Boudin Voiliers dans le port (1869) et sera pris d'une vague d'émotion en voyant Salomé danser devant Hérode peinte par Gustave Moreau de 1876. Et comment ne pas rester figé d'admiration devant Le Semeur de Van Gogh, créé à Arles en 1888, ou ne pas vouloir se mêler à la foule qui envahit le boulevard Montmartre, l'une des rues parisiennes préférées de Camille Pissarro, à qui l'artiste a consacré treize tableaux, pour la plupart peints depuis sa chambre d’hôtel ! Sur la toile rapportée de Los Angeles, le boulevard Montmartre est représenté pendant le carnaval du Mardi gras de 1897, tandis qu'une autre version est conservée à l'Ermitage de Saint-Pétersbourg, grâce au mécène russe Mikhaïl Pavlovitch Ryabouchine. Après la révolution de 1917, sa magnifique collection a été nationalisée et l'ancien banquier est mort en 1960 à Londres dans un hôpital pour pauvres. Les collectionneurs ont parfois des destins bien différents.

A la Fondation Gianadda, on peut actuellement admirer des œuvres de Fragonard, Chardin, Corot, Manet, Degas, Renoir, Monet, Bonnard, Sisley, Vuillard, Toulouse-Lautrec et de nombreux autres grands maîtres, ainsi qu'une collection exceptionnelle de sculptures de Dominique Honoré Daumier. Chaque pièce pourrait faire l'objet d'un livre ! Mais mieux vaut se rendre à Martigny et découvrir toute cette splendeur de vos propres yeux : l'exposition de la collection d'Armand Hammer vous attend jusqu'au 2 décembre 2025. Et moi, sur cette note positive, je vous souhaite de belles vacances et vous donne rendez-vous à la rentrée. 
 
 

A PROPOS DE CE BLOG

Nadia Sikorsky a grandi à Moscou, où elle a obtenu un master de journalisme et un doctorat en histoire à l’Université d’Ètat de Moscou. Après 13 ans au sein de l’Unesco à Paris puis à Genève, et exercé les fonctions de directrice de la communication à la Croix-Verte internationale, fondée par Mikhaïl Gorbatchev, elle développe NashaGazeta.ch, quotidien russophone en ligne.

En 2022, elle s’est trouvée parmi celles et ceux qui, selon la rédaction du Temps, ont « sensiblement contribué au succès de la Suisse romande », parmi les faiseurs d’opinion et leaders économiques, politiques, scientifiques et culturels – le Forum des 100.

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